Chapitre 13

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Flashback :

« Mais dépêchez-vous, on va arriver trop tard pour le film. Moi, je ne veux pas le louper... » criais-je, pressée.

« Bien sûr que non, ma chérie, on arrive. Accorde encore trois minutes à Loupe-mon-train, il ne retrouve pas ses chaussettes. »

« Encore ? Ça sera la troisième fois qu'il ne retrouve pas ses affaires quand on doit sortir. Quel désordonné, monsieur ! »

« On ne dirait pas que tu as cinq ans, mon lapin, tu t'exprimes déjà si bien. Tu ne fais pas ton âge ! »

« Mais papa ! Tu en as encore pour longtemps ?! »

« Ta-dam ! Voilà enfin l'incroyable monsieur tant désiré par sa magnifique jolie pétale qui parle un peu trop comme une grande dame, » s'exclama mon père en apparaissant.

« Hum non, pas les chatouilles, arrête ! » Je riais aux éclats.

« Ça y est, on va y aller, les tourtereaux. Le film ne va pas se regarder tout seul ! »

« Maman, je pourrais avoir une glace à la fin ? »

« Oui, mon cœur, tu auras même droit à la plus grosse glace du monde ! »

« Ouiiiiiiiiii ! »

« Et moi ? Je n'aurai pas droit aussi ? » demanda mon père ironiquement.

« Non non, Loupe-mon-train aura plutôt droit à un gros gros bisou, s'il promet de ne pas dormir durant tout le film ! »

« D'accord, ça, ça me va ! » s'exclama-t-il.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Le film était super ! Don Grigri est arrivé au bon moment pour sauver la demoiselle en détresse. Chouette ! »

« J'en connais un qui n'a pas suivi le film ! »

« Tu es trop nul, papa ! Que même tu n'auras pas droit à ma glace. »

« Zut alors, je ne saurais jamais quel goût a la glace la plus grosse du monde ! » ironisa-t-il. « Qu'en est-il de mon bisou ? »

« Ça non plus, mais je sais que maman finira par t'en donner, hum ! » boudai-je.

« Ah lala ! Je sais que ta maman ne peut pas s'en passer de m'en donner. »

« T'en es sûr, gros malin ? » répliqua-t-elle avec un sourire provocateur.

« Je dis ça, je ne dis rien, chérie... »

Point de vue Ayole :

Un virage brusque me sortit de ce rêve. Maman était là, c'était la fois où nous sommes allés au cinéma tous ensemble.

Une vague de nostalgie m'envahissait, je commençais à moins culpabiliser d'avoir choisi de rentrer chez moi à Benlégas.

Quatre jours après :

Enfin rentrée chez moi, la route était longue et je m'épuisais. Heureusement, le chauffeur savait marquer des pauses ici et là. Nous campions pour passer la nuit et mangions tous les soirs. Nous étions quatre passagers à bord, en plus du chauffeur.

Me voilà devant ma porte, elle était fermée. Je toquais chez Mme Germaine, mais aucune réaction de sa part. Il y avait du bruit chez la voisine du fond, mais comme elle avait emménagé des semaines avant mon départ, nous n'avions pas eu l'occasion de nous côtoyer. J'hésitais donc à aller frapper à sa porte.

« Bonjour, voisine, vous êtes rentrée ? » dit-elle, serviette autour du corps. Elle sortait fraîchement de la douche, vu les gouttelettes d'eau qui tombaient par terre et son corps mouillé.

« Euh..., oui, mais je crois que j'ai devancé mon père ! Il n'est pas encore arrivé. »

Oh là ! Je venais de sortir un gros mensonge, mais qu'est-ce qui m'a pris, bon sang ?

« Bah ça alors ! Vous pouvez toujours venir l'attendre chez nous, je suis certaine que d'ici peu il viendra vous ouvrir la porte. »

« Euh... ne vous dérangez pas pour moi, je peux toujours l'attendre ici, ce n'est pas bien grave. »

« Évidemment que ça l'est, je serais encore plus embarrassée de vous laisser là dehors alors que je peux bien vous accueillir en attendant. Allez, venez ! »

Elle insistait tellement dans son regard après ses mots que, naturellement, j'avançais mes pas vers elle. J'avais compris qu'elle ne pouvait pas me renseigner sur l'endroit où se trouvaient les clés de chez moi.

L'intérieur de sa maison était bien soigné, pas aussi chic que chez les Esméralda mais assez raffiné pour des gens d'un quartier comme le nôtre. Il y avait pas mal d'objets de valeur : des pièces d'argenterie posées sur un buffet en bois vitré, une table basse en verre trempé sur laquelle reposait un vase en porcelaine, des appliques murales artistiques, etc.

Une guitare accrochée au mur et, juste à côté, un poster de femme à moitié nue me faisait tirer ma première opinion sur sa personnalité. Maintenant que je remarque, elle est sortie en tenue de douche dans les couloirs ; pour une femme, ce n'est pas très pudique.

Elle m'invita à m'asseoir sur le sofa près de la télévision allumée et servit un jus de fruit bien frais. Sur le meuble télé, une photo d'elle, je dirais récente, mais pas seulement : elle était avec un homme assez sinistre qui ne souriait même pas sur cette image. Son expression évoquait de la crainte, quel contraste avec elle !

« Laisse-moi le temps de me changer et je te reviens, ma jolie, » dit-elle en me tournant le dos pour entrer dans une autre pièce que je suppose être sa chambre.

Les stores à l'autre bout du salon bougeaient, et un homme apparut. J'avais en face de moi l'homme sur la photo ; rien n'était différent, il était typiquement le même.

Je lâchais un « Bonjour, monsieur... » rempli de crainte. Il me fixa attentivement, le regard menaçant, sans rien dire. La seule envie que j'avais, c'était de disparaître.

« Chéri, c'est la voisine d'à côté. Elle est rentrée de voyage et attend son père. Je l'ai invitée à casser la croûte avec nous. Elle est si mignonne, la p'tite ! » dit la voisine en revenant vêtue, enfin.

C'était une jeune mulâtre dans la vingtaine de l'âge, je la classerais dans les vingt-sept ans ; la transparence de son legging bleu ciel exposait royalement la ficelle rouge vif qui lui servait de culotte. Je commençais à remarquer les trois piercings qui ornaient ses oreilles maintenant que ses cheveux étaient attachés.

L'homme lui demanda doucement de le suivre dans la chambre ; il semblait bégayer. Elle le fit et, quand elle ressortit des minutes plus tard, elle avait une expression triste, sac à la main.

J'inventais la raison que mon père n'allait pas rentrer tout de suite et qu'il fallait que je me rende chez une tante pour l'attendre. Elle comprit assez facilement cela et me proposa de faire un bout de chemin ensemble si j'étais d'accord, car, d'après ses dires, elle devait aussi sortir effectuer une course rapide. Je comptais me rendre chez Selma, comme je n'avais pas de téléphone pour la prévenir de mon arrivée.

En route, elle avait l'air plus expressive lors de notre discussion, comme quand elle m'a invitée à venir attendre mon père chez elle. Nous avons pas mal échangé des phrases. Son prénom est Lucrèce.

Après le carrefour, chacune de nous emprunta des voies diamétralement opposées : moi en direction de chez Selma, et elle en direction des Bas-fonds de Velours. C'est comme ça qu'on appelait à Benlégas l'endroit où siège le plus grand bordel de la ville.

Comme un verre videOù les histoires vivent. Découvrez maintenant