Certaines journées semblent plus belles que d'autres. Ce matin, en me rendant au travail, je m'autorise un petit détour par le parc. Le soleil se lève doucement, le ciel se teintant de couleurs presque surnaturelles. Du bleu azur, du rose fluo, du rouge apocalyptique, et quelques touches de jaune poussin. Les impressionnistes avaient raison, la nature nous transcende. Les oiseaux chantent dans les arbres. Les gens que je croise ont l'air plus aimables. Ne jamais sous-estimer l'influence de la météorologie sur notre comportement. Le vent nous rend nerveux, la pluie nous met d'humeur maussade, trop de chaleur fait augmenter notre susceptibilité, la neige provoque l'euphorie. Et puis, il y a ce matin, avec une température idéale, un décor magnifique, toute la beauté d'une fin de mois de juin, juste avant d'entrer dans le dur de l'été.
C'est avec le sourire que je franchis les portes de l'agence. Depuis longtemps, il n'y a plus personne à l'accueil. Ce bâtiment est celui qui, parmi tous les locaux gouvernementaux des États-Unis, suit le plus rapidement l'évolution des technologies. Quand j'ai commencé, il y a sept ans, il fallait présenter son badge pour ouvrir le portique de sécurité. Puis nous sommes passés à la reconnaissance digitale, avant d'opter pour l'identification rétinienne. Maintenant, il faut ajouter un coton-tige sur une plaque, après l'avoir raclé contre une de ses joues. La machine identifie instantanément l'ADN de chaque employé. Il n'y a plus aucune possibilité de tricher, aucun intrus ne pourrait pénétrer dans ce sanctuaire. Enfin, si quelqu'un le voulait vraiment, sans doute qu'il y parviendrait, mais il serait neutralisé très rapidement. Ce bâtiment n'est pas sous haute, mais sous extrême sécurité.
L'ascenseur s'ouvre du simple fait que je m'en approche. Une personne à la fois. Les plannings sont conçus ainsi, chaque employé commence à une heure différente. Il est formellement interdit d'arriver ne serait-ce que cinq minutes en avance ou en retard. Si je suis en avance, j'attends à l'extérieur. Si je suis en retard... je n'ai plus accès au bâtiment et la journée est décomptée de mon salaire ! Premier étage, celui du pôle administratif. Le secrétariat, les ressources humaines, les services paie et le standard. Ne dites jamais que le secrétariat et le standard sont la même chose, vous seriez immédiatement détesté par une quinzaine de femmes. Deuxième étage, la comptabilité. Là aussi, j'ai commis l'erreur de dire que la compta et la paie, c'était similaire. J'ai cru que j'allais finir en prison. Malheureusement, ici, non seulement on ne peut faire qu'une seule première impression, comme partout, mais surtout on ne peut faire qu'une impression tout court. On visite les lieux et on rencontre ses collègues le premier jour, puis nous n'avons plus aucun contact physique avec les autres étages.
Au troisième, ce sont les adjoints. Nous en avons tous au moins un. Pour gérer les tâches qui ne sont pas d'une importance capitale, sauf au regard de l'administration. Remplir des documents et apposer des tampons partout, c'est un kif pour certaines personnes. Le quatrième abrite l'antre des informaticiens. Ils font partie d'une caste à part, d'une certaine élite totalement intouchable. Ce sont eux qui nous protègent des cyberattaques et qui peuvent nous dénicher des renseignements ultra-confidentiels en quelques clics. Le cinquième réunit les stratèges. Ceux qui planifient, prévoient, imaginent les scénarios des futurs possibles, pour anticiper, pour se préparer, surtout à la guerre. Je fais partie de ce club très fermé.
Le problème est que ce matin, l'ascenseur ne s'arrête pas, il continue jusqu'au sixième. Je ne peux rien faire, c'est la machine qui décide. Ils ont quand même laissé le bouton d'arrêt d'urgence, mais à part cette option, l'usager est impuissant.
Le sixième étage, celui des dirigeants. Surtout depuis la dernière élection américaine, le monde entier a pu avoir la preuve que les États-Unis ne sont pas dirigés par le président « élu ». Ce n'est qu'une marionnette que l'on exhibe, pour le show, pour faire joli ou ridicule. En réalité, il n'a aucun pouvoir. Tout se joue ici, au sixième étage de ce bâtiment d'une petite ville dont je ne peux évidemment pas vous révéler le nom. Ce sont eux qui décident de tout, dans tous les domaines : santé, agriculture, politique étrangère, politique intérieure... Vos vies sont sous leur contrôle absolu.

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L'Imaginaire
General Fiction« Ils sont trois : Antonin, Hadrien et Théophile. Leurs prénoms sont des indices. Pour l'instant, ils ne se connaissent pas. Le destin, lui, ne recule devant rien pour arriver à ses fins. Et la destinée a un objectif : réunir ces trois hommes. Ens...