L'Imaginaire

19. Antonin - Sans retour

Cette journée nous a fait du bien. Enfin un peu de repos après une longue semaine d'aventures. C'est génial de pouvoir simplement prendre son temps, sur la plage, au soleil, à laisser tous ses soucis s'échapper comme si les vagues venaient chercher les pensées négatives, les prendre et les éloigner en se retirant. Oui, je deviens un peu plus spirituel, certainement que j'ai une insolation. Peut-être que je suis aussi un peu mélancolique. Nous sommes dimanche soir. Dans quelques heures, mes parents vont essayer de m'appeler.

Ils vont se rendre compte que je ne suis plus là, que ma ligne téléphonique a été coupée, que mon appartement est vide. Je ne sais pas du tout quelle sera leur réaction. Depuis mon coming out, et vu comment ils se sont comportés, j'ai pas mal pris mes distances avec ma famille. Nous n'avons gardé qu'un petit lien, ce coup de fil traditionnel du dimanche. Pour finalement ne pas se dire grand-chose, mis à part des banalités. Qu'y aurait-il à dire alors que je ne voulais pas parler de ma vie et que j'étais devenu assez indifférent à la leur ?

Maintenant, ce sont eux les seuls qui vont se rendre compte de mon absence. Du fait de mon métier, mon unique ami était Jeffrey. Lui, il sait ce qui s'est passé. Personne ne partira à ma recherche. Je ne manquerai à aucun proche. Peut-être quand même à quelques mecs avec lesquels je faisais des plans réguliers. Mais je ne me fais aucune illusion, quand ils verront que je ne réponds plus aux messages, ils trouveront quelqu'un d'autre et m'oublieront bien vite.

Je ne suis pas triste, c'est ainsi. Et c'est même peut-être mieux comme ça. Au moins, je n'ai aucun regret. Je n'ai pas abandonné l'amour de ma vie. Je n'ai pas laissé derrière moi des amis sincères. Je n'ai pas quitté une famille aimante. Je suis libre, je suis devenu quelqu'un d'autre, je peux tout recommencer. Et je vais essayer de faire les choses bien, de ne pas merder comme j'ai réussi à le faire dans mon ancienne vie. Hadrien et Théophile ont l'air de mecs sympas, nous pourrons peut-être devenir amis. En tout cas, je vais essayer, parce que c'est quand même bien d'avoir des amis.

Je sors de mes pensées en entendant frapper à la porte de ma chambre. Hadrien passe la tête, pour voir s'il peut entrer.

— Viens, n'hésite pas.

— Je pensais que tu faisais une sieste.

— Pas du tout, je crois que je me suis un peu endormi sur la plage.

Il vient s'asseoir à côté de moi, sur le lit.

— En dix ans, il s'est passé beaucoup de choses, surtout au niveau technologique.

— Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

— Quand j'ai quitté le monde moderne, Internet n'avait pas déployé toute sa toile et j'avais un iPhone 3. J'aimerais effectuer des recherches, mais je ne sais pas comment m'y prendre.

— Quel type de recherche ?

— Sur moi.

Il est trop mignon. Il semble si désemparé.

— Je voudrais savoir si quelqu'un a essayé de me retrouver, si ma famille a organisé des pétitions, des marches blanches, fait pression sur le gouvernement. Si l'État a tenté quelque chose pour me libérer.

— Tu n'as eu aucune nouvelle pendant dix ans ?

— Chaque jour, j'attendais du courrier. Mes codétenus en recevaient, de temps en temps, moi, jamais. Je me suis dit que l'administration pénitentiaire stoppait les lettres qui devaient me parvenir. Mais si ça avait été le cas, ils m'auraient tout remis au moment de ma libération.

— Il n'y avait rien.

— Non, j'ai juste récupéré mes affaires, celles que j'avais en entrant, rien de plus. Comment tu t'y prendrais pour réaliser ce genre de recherche ?