L'Imaginaire

8. Antonin - Se réinventer

Je ne suis pas mécontent d'avoir un peu de temps pour moi. Il faut quand même que je puisse faire le point sur la situation. Jusque-là, je n'ai pas trop eu le loisir de réfléchir, puisque j'étais en permanence entouré par du monde. Dans l'avion, au café, dans le train... Même avec les écouteurs dans les oreilles on ne réfléchit pas de la même manière que lorsqu'on est dans le silence. On ne peut vraiment cogiter que lorsqu'on se retrouve seul avec soi-même, sans aucune forme de distraction.

La situation est complètement dingue. Je ne pensais pas du tout me retrouver dans un tel endroit. Je ne crois pas une seule seconde à la version que Théophile nous a donnée concernant cette villa. Cette malouinière, comme il dit. C'est quand même un peu gros, cette histoire d'héritage qui lui tombe dessus comme par miracle. Un héritage qu'il a accepté en sachant qu'il n'avait pas les finances pour supporter l'entretien. Et il a tenu un an sans locataire... rien ne colle.

L'histoire d'Hadrien n'est pas super crédible. Pourquoi quelqu'un aurait-il essayé de le piéger ? Peut-être qu'il s'est fait des ennemis pendant la durée du chantier de fouilles. Quand même, il faut avoir l'esprit tordu pour cacher un artefact dans ses valises afin qu'il se fasse arrêter. Et puis, il aurait passé dix ans dans une prison chinoise sans que personne ne réagisse ? Je trouve qu'il y a pas mal de points suspects dans son récit.

Je m'allonge sur le lit. J'ai quand même de la chance, avec cette mission, de me retrouver là, ayant tout l'étage d'une villa rien que pour moi. Comme si j'habitais mon propre appartement. D'ailleurs, la surface est sans doute plus grande que ce que j'avais avant. Bref, j'allume mon iPad, au cas où... mais il n'y a pas de nouvelle information concernant le déroulé de ma mission. Je suis désormais seul, pour affronter les événements et pour essayer de comprendre ce qui arrive. Car mon premier objectif est de réussir à savoir ce que je fais réellement ici, quel est le but de tout ceci.

Je vais essayer de trouver des renseignements sur moi, du moins sur Antonin Moreau. Maintenant que j'ai le droit de me connecter au réseau mondial sans restriction, je vais pouvoir me défouler. Et Internet n'est pas avare en renseignements, car apparemment mon nouveau moi est célèbre. Du moins, dans son domaine de prédilection. Il y a même des photos ! Je ne devrais pas être étonné, je connais l'avance technologique de l'agence. Avec une intelligence artificielle surdéveloppée, on peut créer n'importe quelle réalité. Par contre, ces clichés ne m'indiquent pas clairement pour quelle raison je suis reconnu.

Il y a des dizaines d'articles à mon sujet. Je les enregistre pour les lire tranquillement, pour l'instant j'ai un objectif précis. Après avoir fait défiler plusieurs pages de résultats de Google, je tombe enfin sur un profil LinkedIn. Grâce à cela, je découvre mon passé professionnel : mes diplômes, mes formations, mes emplois. Pas possible ! Ils veulent que je sois un mixologue. Ceci, alors que je suis incapable de préparer le moindre cocktail. Servir un whisky-Coca ne compte certainement pas. En plus, ils n'y sont pas allés de main morte, je ne suis pas n'importe quel mixologue, je suis une petite star.

Il faut que je m'invente une vie. Que j'explique pourquoi je me retrouve ici, à vouloir bosser dans un bar apparemment orienté gay, alors que j'ai œuvré dans les plus grands palaces de ce monde. Mon histoire à moi doit tenir la route, pas comme celles de mes deux colocataires. Un mensonge doit avoir deux qualités : être totalement crédible et facile à retenir. Parce que le problème, lorsque l'on ment, c'est qu'il faut se souvenir de ce que l'on a inventé. Il faut que je me fasse des fiches, que je façonne mon histoire et que je m'y tienne. Je n'ai pas réellement d'entraînement en la matière. Nous balançons tous des petits mensonges de temps en temps. Là, je dois carrément m'inventer un passé.

Lorsque j'entends les autres revenir, je les rejoins dans le salon.

— Tu as pu trouver tout ce que tu voulais ?