2. De l'enfermement à la liberté

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Dans une prison éloignée de toute civilisation, perdue dans le décor de carte postale d'une province chinoise restée figée à l'époque de l'Empire, un Français se réveille dans sa cellule. Ce Français, c'est moi, Hadrien Desroches. Je vis mon dernier jour ici, j'ai purgé ma peine. J'ai du mal à croire que j'ai passé dix ans isolé du monde, oublié de tous. Car apparemment, personne ne pensait à moi, ni ma famille ni mes amis. Peut-être que certains ont essayé de communiquer ou même de me faire libérer, sûrement que si quelqu'un d'extérieur à ces murs a tenté de m'envoyer une lettre, cette dernière aura été interceptée par les autorités carcérales. Ou alors, personne ne s'est préoccupé de ma destinée.

Je le découvrirai bientôt. Pour l'instant, je dois dire adieu à ce lieu. Certes, c'est une prison, mais je crois qu'on s'attache à tous les endroits où l'on a passé plusieurs années. C'est ainsi presque mélancolique que je plie la fine couverture usée, ma seule protection contre les nuits glaciales. Les premiers jours, je n'arrivais pas à dormir et puis, après un temps d'adaptation, j'ai trouvé l'atmosphère moins froide. Je n'aurais jamais pensé pouvoir me contenter d'un morceau de tissu et réussir à trouver le sommeil sur une simple planche de bois. Mais finalement, l'être humain s'habitue à toutes les situations... surtout lorsqu'il y est contraint.

Un garde approche pour ouvrir la porte de ma cellule. Je me souviens très bien de cet homme, le chef de cette section de la prison, son image ne s'effacera jamais de ma mémoire. Le premier jour, ce garde n'a pas été tendre avec le prisonnier français. Se comporte-t-il ainsi avec tous les détenus ou avait-il une haine particulière envers moi ? Impossible à savoir, il n'y a eu aucun nouveau condamné depuis mon arrivée. En tout cas, je n'ai pas appris à obéir aux ordres en comprenant la langue, je ne parlais pas le mandarin. C'est à force de recevoir des coups que j'ai compris comment se comporter pour ne pas énerver les surveillants. Ici, la discipline est stricte, personne ne fait ce qu'il veut, il faut suivre les consignes. C'est certainement la solution pour éviter les troubles ; dans cette prison, il n'y a jamais eu aucune forme de rébellion. J'ai appris à me taire et à coopérer pleinement. Jusqu'à devenir un prisonnier modèle ! Ma bonne conduite a été plus ou moins récompensée.

Les hauts gradés de l'établissement pénitentiaire se sont intéressés à mes supposés talents. Après tout, je venais d'un pays réputé pour ses bons petits plats et un goût prononcé pour l'alcool de qualité. Quelques semaines après mon arrivée, une fois un peu dressé, j'ai été placé en cuisine avec pour ordre de concocter une spécialité française. Difficile avec des ingrédients venus uniquement des champs entourant la prison. Mais après tout, ces hommes n'avaient jamais voyagé en Europe, ils n'en avaient qu'une image d'Épinal. Alors, j'ai improvisé. Peu importaient les ingrédients, l'essentiel était dans la présentation. Il fallait que le plat fasse français ! Je me suis donc appliqué et les gradés ont applaudi. Il s'agissait de la même nourriture que les autres jours, juste présentée sous une forme plus esthétique. Ensuite, logiquement, ils ont commencé à me demander des conseils sur les meilleurs vins à acheter. Là encore, je n'avais aucune connaissance, mais peu importait : ce que je préconisais, on le trouvait absolument divin. Les Français ont du goût et les prendre pour modèles fait de vous un gourmet... Parfois, les stéréotypes peuvent aider à se faire accepter. En tout cas, ils m'ont bien servi.

Le premier codétenu avec lequel je me suis lié d'une certaine forme d'amitié était un professeur de langues. Son crime ? Avoir fait lire à ses élèves un roman anglais prohibé par le régime communiste chinois. Le genre d'expérience à ne pas tenter : quand les parents l'ont appris, ils n'ont pas hésité à le dénoncer. Ce codétenu était aussi le moins violent, et assez rapidement nous avons entamé un rituel, nous retrouvant en secret pour que j'apprenne le mandarin. Après tout, je ne me faisais aucune illusion, il y avait peu de chances pour que ma sentence soit réduite. Autant mettre ce temps à profit. Et commencer par apprendre la langue des gardes était la priorité. Au moins, j'ai pu exécuter les ordres sans essayer d'interpréter les coups de matraque. Quand on veut éviter la douleur, étrangement, le cerveau a la capacité d'apprendre beaucoup plus vite. Il a tout de même fallu quelques mois pour que je réussisse à maîtriser les bases de la langue des autochtones, elle n'est pas la plus simple à intégrer pour qui a l'habitude des racines latines.

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