L'Imaginaire

9. Hadrien - Acclimatation

Soudain, tout est calme. C'en est presque effrayant. Il s'est passé tellement d'événements ces dernières heures. J'ai l'impression d'avoir vécu un mois complet d'aventures en seulement deux jours. Le moment où j'ai quitté la prison me paraît loin, pourtant c'était littéralement hier ! Notre cerveau a la faculté de ranger rapidement les souvenirs dans des cases, comme on classe des dossiers dans un carton avant de les ranger sur une étagère et de les oublier. Mon passage par Paris a été expédié, un peu comme si la ville voulait rapidement rejeter un corps étranger.

C'est ce que je suis devenu dans ce monde, un étranger. La vie a évidemment continué son cours pendant ces dix années. Et moi, je n'ai assisté à rien des transformations qui se sont produites durant cette décennie. Sans doute que c'est encore plus dur à notre époque. Les technologies progressent à une vitesse incroyable. Avant mon départ, j'avais un iPhone 3G, une antiquité quand je vois ce que j'ai maintenant entre les mains, cet iPhone 14 qui me semble une avancée tellement extraordinaire.

C'est parce que je me suis très vite senti dépassé par les événements que je me suis laissé convaincre par ce que l'on m'a ordonné. J'aurais dû dire non à l'agent immobilier. Partir s'installer dans une ville qu'on ne connaît pas, juste pour pouvoir avoir un toit au-dessus de sa tête, qui fait ça ? Qui accepte ce genre de chose sans hésiter et prendre le temps de peser le pour et le contre ? Même si dans mon cas il s'agit certainement de la meilleure solution. Il n'est pas certain que j'aurais supporté de me retrouver dans le tourbillon de la vie parisienne.

Je n'entends plus aucun bruit. Je réalise que c'est la première fois en plus de dix ans que je suis entouré par un calme complet. J'essaie de tendre l'oreille, mais mes deux colocataires ont dû plonger rapidement dans un sommeil profond. Moi, je suis là, dans ce lit, plus que confortable, même d'un luxe incroyable, et je n'ose pas bouger. J'ai laissé la porte de ma chambre ouverte. Plus jamais je ne veux avoir le sentiment d'être enfermé. Et surtout, je crois que j'ai développé le besoin d'anticiper le danger. Difficile de concilier les deux.

Étrangement, dans cette villa, dans le monde libre, je me sens beaucoup moins en sécurité que dans l'enceinte de la prison. Bien sûr, ce n'est pas si étrange que cela, au moins là-bas il y avait des gardiens. Pour surveiller les condamnés, mais aussi, en quelque sorte, pour nous protéger du monde extérieur. Désormais, je me sens totalement sans défense. Il n'y a personne pour veiller sur moi, personne pour assurer ma protection. La liberté a un prix... celui de l'insécurité !

Je ne sais même pas ce que je crains réellement. Antonin et Théophile ont l'air gentils, je n'ai pas à me méfier d'eux. Je sens bien qu'ils mentent sur beaucoup de points, l'histoire du mixologue était à peine crédible. On aurait dit un scénario de film. Et puis cet héritage, il y a un truc louche aussi. Peut-être que j'ai ce sentiment de méfiance parce que nous venons de nous rencontrer. Certainement que c'est ce que l'on éprouve chaque fois que l'on rencontre de nouvelles personnes, il faut du temps pour apprendre à se connaître, pour s'apprivoiser.

Je ferme les yeux. Il faut vraiment que je dorme. Et si j'ai appris quelque chose en prison, c'est bien la faculté de plonger dans un état de méditation profonde. De faire taire mes pensées pour ne pas être pollué par les cogitations de mon cerveau. Là-bas, c'était assez simple, je n'avais pas réellement de soucis. Quelques heures dans le monde libre et voilà que les idées fourmillent dans ma tête, que je me pose beaucoup de questions, que de vieilles angoisses remontent à la surface.

Je me concentre sur ma respiration. J'essaie de calmer l'ensemble de mon corps, de me détendre pleinement. Il faut que je me laisse totalement aller. Je ne tiendrai pas le choc si je ne me repose pas. Et puis, comme on dit, la nuit porte conseil. Cette phrase n'est pas tout à fait vraie, en réalité la nuit permet de calmer notre cerveau et de se remettre les idées en place. Les conseils ne viennent pas en dormant, ce sont juste les informations accumulées pendant l'état de veille qui sont digérées.