Chap. 57

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-Je veux que cette femme soit transférée dans le château du duché.

Un long silence suit la demande d'Ambroise, alors qu'il vient de revenir dans la salle où hommes d'armes et d'églises sont réunis. La femme endeuillée est la première à briser le silence:

-Elle a tué mon époux Monsieur Le Duc! Elle doit être exécutée sur ses terres!

Ainsi, il s'était encore remarié, pense le duc. Mais cette femme là semble réellement dévastée par sa mort. Est-elle enceinte?

-Je vous rappelle Madame que vous êtes avant tout sur les terres du duché. Ce comté n'est qu'une infime partie de mon territoire et j'ai donc tout à fait le droit d'exercer la justice comme bon me semble, et où je le souhaite.

Le prieur, qui a accompagné le duc jusque dans les cachots, prend à son tour la parole:

-Bien-sûr Monsieur Le Duc, votre autorité fait loi et nous nous plierons à votre volonté. Mais afin que chacun ici, et en particulier Madame, puisse faire son deuil comme il se doit, nous aimerions assister à l'exécution de la condamnée le jour venu.
-Il n'y aura pas d'exécution.

Cette fois, l'assemblée devient bruyante, complètement choquée par ce qu elle vient d'entendre. Un homme armé crie presque:

-Que dites-vous?!
-La femme est enceinte. Je n'assassinerai point un innocent.
-Mais nous sommes tout à fait d'accord avec ce principe Monsieur Le Duc, reprend le prieur. Voilà pourquoi la condamnation a été repoussée à dans trois mois.
-Arracher une mère a un nourrisson, c'est condamner ce même enfant. Une fois encore je m'y refuse. De plus, vous m'avez dit qu'elle avait tout avoué lors de vos interrogatoires. La femme m'a montré son ventre, et j'ai vu à cette occasion les plaies sur son corps. Qui a mené cet interrogatoire?

Un silence, puis un homme de garde lève la main:

-Moi Seigneur, supervisé par Prieur Eustache.

Ambroise tourne de nouveau son visage vers le prieur:

-Pourquoi ne vous manifestez vous pas? Racontez moi cet interrogatoire!
-Nous avons suivi la procédure habituelle lors de cas de sorcellerie Monsieur Le Duc.
-Soyez plus explicite si vous ne voulez pas que je vous fasse interroger à votre tour!

L'assemblée est de plus en plus apeurée et dépitée par les paroles si fermes et glaciales du duc. Le prieur a un frisson.

-Et bien... Il y a eu les coupures au couteau, pour faire couler le sang du démon, les brûlures au fer rouge, pour rappeler au diable perfide les flammes de l'enfer, et enfin les noyades, pour tenter de purifier l'âme malgré toute l'horreur dont elle est faite.

Ambroise serre les mâchoires et les poings, et doit puiser au plus profond de lui même pour ne pas exploser de rage. Il respire lentement:

-Vous avez donc en toute connaissance de cause, fait torturer une femme enceinte.
-Une sorcière avant tout Monsieur Le Duc!
-Taisez-vous! Comment osez-vous vous dire homme de Dieu?! Je veux qu'elle soit libérée de son cachot immédiatement. Je vais la ramener aujourd'hui même à mon château, accompagnés de mes hommes.



Lorsqu'un garde vient ouvrir la porte de barreaux en métal, Colombe ne comprend pas.

-Allez debout, tu pars d'ici.
-Mais... où m'emmenez-vous?
-Le Duc a donné l'ordre de te libérer. Il t'attend dehors avec ses hommes.

Colombe est bouche bée. Lentement elle se lève, une main soutenant son ventre, et elle sort de sa cellule. Au moment où elle passe devant le garde il lui murmure avec dégoût:

-Je ne sais pas ce que tu lui as fait sorcière, mais ton venin a pris possession de son âme.

Elle ne répond rien et traverse le long couloir sombre et humide avant de gravir les marches pour revenir a l'extérieur. La lumière du jour l'aveugle. Ses pieds nus avancent dans la terre et la poussière. Ses jambes sont faibles et son corps affamé et affaibli. Elle a l'impression qu'elle va s'effondrer, lorsque des bras viennent soudain la soutenir.

-Je suis là. C'est fini Colombe. Je te ramène dans mon château, je te ramène chez toi.

Un immense sentiment de gratitude envahie la jeune femme. Mais en même temps, elle sait au fond que ce château n'est pas chez elle, et ne le sera jamais. Elle sait que rien n'est fini, que son existence même est synonyme de souffrance. Il pense la sauver, mais au fond, malgré les tortures, Colombe était un peu soulagée de savoir qu'elle allait mourir. Elle se disait qu'enfin, tout ceci prendrait fin...

ColombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant