Chap. 59

1.8K 186 16
                                    


• Août 1349 •

-Tu ne peux pas l'épouser.
-Je ne veux pas de nouveau parler de ça avec toi Théodora. La décision est prise.
-Mon frère je t'en prie écoute moi. Je dis ça pour toi. Pour le duché.
-Je croyais que tu appréciais Colombe.
-Mais je l'apprécie! Beaucoup même! Mais tu ne peux pas. Tu ne peux pas l'épouser.

Ambroise s'agace et se refuse de l'écouter d'avantage. Il lui tourne le dos et quitte la grande salle pour rejoindre ses appartements. Mais son aînée le suit, et n'en démord pas:

-Écoute-moi pour l'amour de Dieu! Colombe ne peut pas être duchesse! Trop de scandales reposent sur elle. Personne ne l'acceptera. Elle fera courir tout ce que nos parents ont construit, tout ce que nous avons construit, à sa perte.
-Elle a sauvé des centaines de personne pendant la peste. Elle t'a sauvée toi! Elle est bonne, généreuse, dévouée. Elle fera la meilleure duchesse que nous puissions espérer.
-Oui. Dans un monde idéal je serais d'accord avec toi. Mais nous sommes dans ce monde là, cruel et égoïste. Elle a été condamnée pour sorcellerie. Deux fois. Deux fois où tu l'as sauvée, mais la condamnation reste, les mémoires s'en souviennent. Elle est une meurtrière!
-Les hommes qu'elle a tué méritaient de mourir!
-Et alors? Ce n'est pas ce qui a été retenu! Et elle a tué l'enfant dans son ventre.
-Alors toi aussi tu la juges pour ça, et tu la condamnes.
-Non. Mais je constate. Personne n'acceptera une duchesse qui a commis de tels péchés. Surtout que...

Théodora s'interrompt dans sa phrase, gênée. Ambroise se tourne enfin vers elle et la foudroie sur regard:

-Poursuis, je t'écoute. Dis ce que tu penses vraiment!
-Tuer un enfant qui vient d'être conçu est une chose... Tuer celui qui naît en est une autre.
-Elle ne l'a pas tué. Il est mort né!
-C'est ce qu'elle affirme oui.
-C'est toi qui l'a faite accoucher! Tu le sais mieux que n'importe qui!
-Il était mort oui. Mais pourquoi? Sa grossesse se passait bien. Elle l'a peut être empoisonné avant d'accoucher, ou provoqué quelque chose du genre.

Ambroise ne supporte plus d'entendre les allégations de sa sœur envers la femme qu'il aime. Il s'approche brusquement d'elle, les poings serrés:

-Tais-toi! Je t'interdis de l'accuser ainsi. Colombe n'a rien fait, pas cette fois. Elle était prête à élever cet enfant, à l'aimer.
-Je ne la juge pas malgré ce que tu penses de moi tu sais. Mais elle s'est faite violer. Comment aurait-elle pu aimer cet enfant?
-C'est assez. Je veux que tu partes de mes appartements. Laisse-moi en paix. J'épouserai Colombe le mois prochain, comme cela est prévu. Elle sera duchesse, que cela te plaise ou non. Que cela plaise ou non à n'importe qui.

Théodora pousse alors un long soupire triste, et part résignée.
Ambroise se calme, réfléchit. Il sait bien-sûr qu'elle sa sœur aînée n'a pas tout à fait tort, mais il aime Colombe, et par dessus tout il veut la protéger. Ce statut de duchesse sera la meilleure protection qu'elle pourrait espérer, et ainsi il pourrait l'aimer librement et passer le reste de sa vie à ses côtés, sans qu'elle s'enfuit. Il sait qu'il peut le rendre heureuse, il en est même persuadé.

Il a envie de la voir, maintenant. Il quitte ses appartements et traverse le couloir jusqu'à la chambre de Colombe qu'il a installée exprès près de la sienne.
Il frappe doucement à la porte. Il sait qu'elle est là. Depuis son accouchement plusieurs semaines plus tôt, elle sort peu, sauf parfois seule la nuit dans le jardin du château. Il l'observe alors depuis sa fenêtre, et elle ressemble à une fée, ou un fantôme, qui ère lentement à la lune.

-Oui?

Il ouvre la porte. Elle sourit. Elle referme le livre qu'elle lisait mais reste assise.

-Bonjour.
-Bonjour. Comment vas-tu? demande t'il.
-Bien. Comme toujours. Et toi?
-Bien.

Il s'approche et lui prend doucement la main pour y dépose un baiser.

-J'ai fait commander du tissu d'Italie pour confectionner ta robe de mariée.

Colombe sourit encore, de cet habituel sourire sage et légèrement triste qu'elle lui expose toujours depuis qu'il l'a récupérée de prison.

-Merci, mais tu n'aurais pas dû. C'est tant de dépenses...
-Ne pense pas à ça. Je veux le plus beau pour toi.

Il pose un genoux à terre pour que leurs visages soit presque à la même hauteur. Elle pose sa main sur sa joue:

-Tu es tellement gentil tu sais... Tellement plus que tout ce que je mérite.

Il se redresse un peu pour l'embrasser. Et Colombe accepte le baiser avec toujours cette petite appréhension froide dont elle ne peut s'empêcher. Cette fois, il ne le supporte plus:

-Est ce que... je te dégoûte? Est ce que nos contacts physiques sont impossibles pour toi? Tu sais nous pouvons encore annuler tout. Et même, je peux t'épouser, pour te protéger, et ne rien demander en échange. Je peux t'épouser et promettre de ne jamais poser la main sur toi, de ne jamais exiger rien de ce genre tu sais...
-Tu as besoin d'une descendance.

Ambroise se relève brusquement:

-Oh mais qu'importe de la descendance! Il n'y a que toi qui compte Colombe. Toi, toi et seulement toi!

ColombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant