Colombe

Chap. 65

Colombe est silencieuse, ne parle que quand on s'adresse à elle directement, répondant par des phrases brèves et simples. Si la reine a semblé sincèrement amicale voir même maternelle à Colombe, son discours lui a mis une barre dans le ventre et dans le cœur qui n'a plus voulu partir par la suite. Mariage, mariage, mariage. Sa vie est un cercle éternel et sadique. Si elle n'avait pas envie de pleurer à cette idée, la jeune femme éclaterait sans doute de rire.
Mais à son plus grand bonheur, Colombe est assise principalement à côté des enfants du couple royal, et s'ils sont particulièrement bavards, au moins eux ne posent pas de questions fâcheuses. C'est la plus jeune princesse, sans doute âgée de sept ou huit ans, qui lui parle le plus tout au long du repas. Colombe répond surtout par des sourires attendris et de nouvelles questions aux quelles la petite fille est ravie de répondre. Mais finalement le prince Jean semble également agacé par cette conversation:

-Julienne tais-toi. Tu fatigues notre invité. Vas te rassoir, ou bien je vais demander à une servante de te faire coucher.

La petite grimace et retourne à sa place en boudant. Colombe est un peu déçue de voir sa jeune amie s'éloigner. Elle lance alors un regard noir au prince.

-Votre mère me « met mal à l'aise ». Votre sœur me « fatigue ». Ne pensez vous pas que c'est à moi d'en juger?

Personne à part lui n'entend ses paroles, chacun trop occupé par ses propres discussions et le brouhaha ambiant.
Il fronce les sourcils, visiblement surpris par cette audace.

-Je suis votre prince. Autrement dit mon jugement prévaut sur tous les autres à l'exception de celui de mon père.

Colombe ne répond rien, atrocement agacée et blessée dans son orgueil. Elle se contente de fixer son assiette le reste de la soirée, jusqu'à ce que des musiciens entrent et que des couples se mettent à danser joyeusement.
Le roi et la reine observe la scène en souriant, et Colombe se fige sur son banc. Cette scène lui rappelle la dernière du genre... Le soir de ses noces. Lorsqu'Ambroise a été assassiné. Lorsque Théodore a été assassinée. Elle regarde les nobles danser, mais voit des giclées de sang, des yeux grands ouverts sans vie, des corps gisants. Tétanisée, elle ne peut plus bouger, ne peut pas même vraiment respirer.

Jean, toujours assis en face d'elle, remarque son visage figé. Il plisse le front et lui demande:

-Vous allez bien?

Elle ne répond pas. Ne l'entend même pas.

-Colombe?

Toujours aucune réaction.
Soudain, une main se pose sur l'épaule de la jeune femme. Elle se lève brusquement en sursautant si violemment que le couple royale et les enfants se tournent vers elle.
Un homme est debout face à elle, surpris par cette réaction à laquelle il ne s'attendait pas.

-Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire peur. Je voulais simplement vous inviter à danser.

Colombe essayer de retrouver son calme et ses esprits, mais elle n'y parvient pas, elle doit quitter cet endroit.

-Non... je... pardonnez-moi... je... je dois sortir...

Sa voix est irrégulière, son souffle court, ses jambes tremblantes.

Et sans que qui conque ne comprenne ce qui se passe, Colombe fend la foule des joyeux danseurs pour fuir de cette scène d'horreur qui lui martèle l'esprit.