• Novembre 1349 - Paris •Les tapisseries somptueuses recouvrent les murs de pierres froids. Des feux crépitent dans chaque cheminée, nombreuses dans ce château, bien que ce ne soit encore que l'automne. L'hiver sera rude, Colombe le sait. Elle l'a senti durant sa longue marche jusqu'à Paris, grâce aux couleurs des arbres, au vol des oiseaux, à l'odeur de la terre et au bruit du vent. Colombe connaît la nature les saisons et la forêt. Elle aurait préféré y rester jusqu'à la fin de ses jours. Ne plus jamais croiser un humain. Être là où elle se sent bien ou elle se sent elle, où les hommes ne peuvent pas lui faire du mal. Mais elle ne pouvait pas, elle ne pouvait pas rester terrer sans rien faire. Justice doit être rendue, pour une fois au moins. Et elle est la seule à pouvoir le faire. Ces morts ne peuvent pas rester impunies, ces meurtrier doivent payer. Pas pour elle-même, elle n'attend déjà plus rien de la vie. Mais pour Ambroise, pour Théodora, pour tous les autres. Ceux qui l'ont aidé, ceux qui l'ont aimé, ceux qui ont tenté de rendre sa vie plus belle.
La foule est nombreuse, la queue est longue. Les plaignants n'en finissent pas d'affluer. Voilà quatre jours que Colombe attend. Quatre jours sans avoir mangé, à peine bu, à peine dormi. Mais cela lui importe peu, puisqu'elle se sent déjà morte. Elle serait prête à attendre mille ans si cela était nécessaire.
Mais petit à petit, plaignant après plaignant, elle se rapproche de ce qu'elle attend, de la personne qui pourrait tout changer.
-Toi, tu es le prochaine. Tiens-toi droit, baisse les yeux, et parle seulement quand on te le demande.
L'homme à qui vient de s'adresser un garde est celui juste devant Colombe, ce qui donne espoir à la jeune femme de ne plus en avoir pour longtemps. On va enfin l'écouter, on va enfin la comprendre, justice sera enfin rendue.
L'homme entre, et la porte est refermée derrière lui.-C'est bientôt à toi. Tiens-toi droite, baisse les yeux, et parle seulement...
-Quand on me le demande.Le garde sans sourcils, puis les fronces.
-Evite ce genre de paroles avec sa majesté, si tu tiens à ta langue.
Colombe n'ajoute rien , et attends. Elle sait qu'elle est sale, que ses vêtements sont usés, que ses chaussures sont trouées de deux mois de marche, que ses cheveux sont en pagaille, que son visage est crasseux. Elle n'est pas belle à voir, mais peu importe, seules ses paroles comptent.
Finalement, après de longues minutes d'attente, la porte s'ouvre de nouveau. Le garde lui indique d'un signe de tête d'entrer. Confiante, Colombe s'exécute.
À l'intérieur de la grande salle, une foule. La jeune femme s'attendait à quelques personnes, mais certainement pas à autant. Elle réalise que toute la cour est là, pas seulement le roi. Les conversations entre les nobles vont bon train, les femmes sont merveilleusement coiffées, les hommes sont richement parés. Personne ne se soucie d'elle. Elle se sent minuscule, invisible, et toute la confiance qu'elle avait accumulée depuis des semaines, disparaît presque aussitôt. Intimidée, elle ose quelques pas en avant pour s'approcher du trône où le monarque est assis. À son passage, certains regards, se tournent vers elle. Elle se sent observée, jugée. De plus en plus, l'attention se porte sur elle. On commente son apparence, on grimace, on murmure. Elle ne ressemble pas à une paysanne, comme les autres. Elle ressemble à une étrangère. À une mendiante. À une sorcière. À rien qu'on ne veuille chez soi. Plus Colombe avance, plus elle aimerait reculer. Mais il est trop tard. Elle pense à Ambroise pour se donner du courage. Elle ferme un instant les paupières pour revoir son visage et ressentir son amour. Elle le fait pour lui. Elle le fait pour lui.Le roi discute avec un homme debout, à côté de lui, sans doute un de ses ministres ou un autre homme important. Mais finalement lui aussi finit par prêter attention à la jeune fille qui s'approche. Son expression est plus neutre que celle de ces sujets, mais Colombe ne ressent sur ses traits, aucune empathie, aucun signe de sympathie. Elle ne peut s'empêcher de le fixer, intimidée, effrayée. Même assis, elle sait que l'homme est grand, puissant, autant dire, majestueux. Il est dans la force de l'âge, sans doute plus de cinquante ans. Ses vêtements sont brodés, magnifiquement, et sa couronne étincelle dans toute la pièce. L'ombre du monarque est grande, mais paradoxalement solaire.
Le silence est maintenant tout à fait présent dans la pièce, chacun veut savoir ce que cette petite gueuse souhaite demander au roi. Colombe ne dit rien, elle a bien retenu la mise en garde du soldat. L'homme debout à côté du roi, s'avance d'un pas et s'adresse à la jeune femme:-Sa majesté, le roi Philippe VI, dans sa grande bonté, accorde audience à ceux qui le demandent. Le temps de sa majesté est précieux, le gâcher serait un péché. Tu peux parler à présent. Dis ce qui t'amène, vite et clairement.
Colombe baisse les yeux, et regarde ses mains qu'elle triture nerveusement. Elle prend une profonde respiration, elle sait qu'elle n'aura pas une seconde chance.
-Votre majesté, je viens ici pour demander justice. Mon époux a été assassiné le jour de notre mariage. Sa sœur a été assassinée avec lui, ainsi que de nombreux autres innocents. J'ai échappé de justesse au même sort votre majesté. Ces criminels mérite de périr. Mais seule je ne peux rien. J'implore donc Dieu et votre majesté pour m'aider à punir les coupables et apaiser les âmes de ceux que j'aimais.

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Colombe
Historical FictionAn 1347. Colombe a vingt-deux ans et n'est toujours pas mariée. Belle et intelligente, elle attise le désir des plus puissants. Mais Colombe veut être libre de faire ce qu'elle souhaite, d'aimer qui elle veut, d'aller où bon lui semble. Pourtant, da...