~ IX ~

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Shane, 15 ans

— Maman rentre quand ?

Je lève les yeux de mon devoir de maths pour dévisager mon petit frère.

— Je ne sais pas, Isaac. Pourquoi ?

— Elle me manque. On ne la voit jamais...

Je soupire en refermant mon livre de cours, agitant au passage les particules de poussière qui stagnent dans l'air.

— Crois-moi c'est mieux comme ça.

Du haut de ses huit ans, il commence petit à petit à comprendre que maman n'est jamais dans son état normal. Elle est constamment bourrée, et ne sort jamais de sa chambre sans sa fidèle bouteille de vodka. On vient de lui diagnostiquer une cirrhose, mais elle n'en a rien à foutre.

Comme de nous, d'ailleurs.

Parce qu'on lui rappelle trop "ce connard qui nous a abandonnés deux fois".

Je me lève en faisant grincer ma chaise sur le carrelage froid de la cuisine, dont les taches ne partent plus malgré mon acharnement. Nous habitons dans un appartement miteux, au centre d'un quartier de Los Angeles.

Skid Row.

Plus pourri tu meurs.

Le logement est à peine plus grand que le vestiaire du gymnase de mon bahut. Les murs sont jaunis, voire moisis par endroits. Une odeur de champignons flotte constamment dans l'air, et les fenêtres laissent à peine filtrer la lumière tant elles sont usées et sales. Maman a pris la seule chambre pour pouvoir se bourrer la gueule en paix, et nous partageons le canapé qui sent le rance avec Isaac. Les nuits sont fraîches, faute d'argent pour payer le chauffage. Elle bosse à peine assez pour payer le loyer. Ce sont les petits boulots que je fais après l'école qui arrondissent le tout, mais ce n'est pas assez.

Isaac tire sur les manches de son pull trop petit, le bout du nez tout rouge.

— Viens là, soufflé-je en le tirant contre moi pour le réchauffer.

Je lui frotte le dos, dans une maigre tentative pour le rassurer, tandis qu'il commence à sangloter contre mon torse. Un enfant de son âge mérite mieux. Maman a dit qu'on allait déménager à Long Island, bientôt.

J'espère qu'on sera mieux là-bas.

Mais je sais que je me berce de douces illusions. Puisque ce sera pareil qu'ici, mais avec un autre paysage.

— Viens, on va aller voir Luke, suggéré-je. Ça te changera les idées.

Mon petit frère hoche la tête en reniflant. Ses yeux rougis par les larmes me serrent le cœur. Ses cheveux sont en bataille, un peu trop longs. Ils lui retombent devant les yeux. J'attrape alors un de mes élastiques pour lui attacher les mèches qui lui obstruent la vue en une demi-queue.

Sans notre différence d'âge et de couleur d'yeux, on nous prendrait pour des jumeaux. Tout chez nous est similaire. De notre visage à notre maigre carrure, due au seul et unique repas que nous avons chaque jour.

Je prends la main d'Isaac puis le tire jusqu'à la porte. Nous enfilons rapidement nos chaussures usées, impatients de fuir cet appartement minuscule et étouffant. Mais au moment où je me redresse, j'entends le cliquetis de la clef dans la serrure.

Oh, non.

La porte d'entrée s'ouvre sur notre mère, complètement débraillée. Elle qui est d'ordinaire si belle. Ses cheveux châtains sont emmêlés, formant une masse informe sur sa tête. Son maquillage a coulé sous ses yeux injectés de sang du fait de l'alcool. Probablement à cause de la sueur qui ne la quitte plus, lui donnant une odeur qui filerait envie de vomir à une personne atteinte d'anosmie. Son corps amaigri flotte dans sa robe tachée et froissée. Et au bout de son bras pend son éternelle bouteille de vodka, un fond de liquide s'agitant doucement contre le verre.

Red Light - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant