— Encore merci pour ce que tu as fait. Maintenant, j'ai du pain sur la planche. À un de ces jours !
Feignant l'indifférence, Alya entreprit de fermer la porte. Mais le chasseur obstiné la retint in extremis. Il repoussa la porte et entra dans la maison tel un conquérant. Prise de panique, Alya le contourna afin de lui bloquer le passage. Elle posa les deux mains sur son large torse et poussa sans résultat.
Raphaël s'immobilisa, surpris par son geste. Il n'avait pas l'habitude de voir la blonde prendre les devants. Mais il devait bien avouer que ce n'était pas pour lui déplaire. En fait, il pourrait même s'y habituer.
— Tu es sûr que tu n'as pas autre chose à faire ? Je suis persuadée que ton emploi du temps de chasseur doit être plein à craquer !
— Je voulais m'assurer que tu allais bien.
Raphaël leva la main et en recouvrit la joue de la jeune femme. Confuse, la blonde cessa d'appuyer sur son torse.
Comme il était heureux de voir qu'elle n'avait rien ! Lorsqu'il avait appris, après avoir pisté un trio de monstres, que ceux-ci détenaient la jeune femme qu'il s'évertuait à séduire, il était entré dans une colère noire. Jamais ses camarades ne l'avaient vu dans un tel état de rage depuis ce fameux soir.
Alya était sa protégée. Il avait pensé bien faire en posant avec elle sur la photo qui faisait désormais la une des journaux locaux. Ç'aurait dû tenir les créatures fantastiques à l'écart. Au lieu de ça, il lui avait collé une énorme cible dans le dos.
Quel imbécile il était !
Cela ne se reproduirait plus, il se le jurait. Il veillerait à sa protection jusqu'à ce que la France soit libéré du fléau que représentaient les êtres surnaturels.
— Eh bien, comme tu peux le voir, je ne suis pas en train de me lamenter sur mon sort. Je vais très bien !
Le chasseur sentait que quelque chose se tramait. Alya ne mettait aucune conviction dans ce qu'elle disait.
Elle niait les évènements, voilà tout.
Mais le chasseur ne la laisserait pas sombrer. Il allait l'aider. Il le lui devait bien, après tout.
— Je sais à quel point c'est difficile de surmonter une épreuve pareille. Tu t'efforces de montrer à tout le monde que tu vas bien, mais c'est faux, je le sais.
Alya recula d'un pas, mettant de la distance entre eux.
— Toi, tu le sais ? interrogea-t-elle avec amertume. Tu n'es qu'une diva, une superstar internationale que toutes les femmes s'arrachent. Je doute que tes problèmes arrivent ne serait-ce qu'à la cheville de mes propres malheurs.
Raphaël ferma les yeux pour mieux encaisser ses mots. Sa petite blonde ne pouvait pas mieux se tromper à son sujet.
— Je n'ai pas toujours été un chasseur, lui rappela t-il. J'ai vécu mon lot d'horreur, et tu ne peux pas t'imaginer à quel point c'était épouvantable.
Le visage d'Alya se radoucit. Elle ouvrit la bouche pour s'excuser, mais fut interrompue par un éternuement étouffé venant de la pièce à côté. Interpellé, Raphaël voulut entrer dans le salon afin d'y découvrir qui avait pu écouter leur conversation. Il avait été persuadé qu'Alya était seule chez elle, n'ayant pas aperçu la voiture de sa mère dans l'allée. Il s'était trompé.
Il ne fut pas si surpris de découvrir la métamorphe qui collait toujours aux basques de la jeune femme et qu'elle-même osait appeler sa "meilleure amie". Il n'avait rien dit à personne, mais il la suspectait d'avoir participé à l'enlèvement d'Alya. Après tout, il avait repéré l'ouverture d'un portail magique dans le sous-sol de cette insalubre maison, ce qui voulait forcément dire que ces diablotins avaient eu un ou plusieurs complices, et que ceux-ci courraient toujours.
N'ayant jamais été présenté officiellement à elle, Raphaël fit semblant de ne pas la connaître. Il colla son faux sourire qu'il réservait toujours aux médias et à ses groupies débilitantes et eut l'amabilité de lui tendre sa main.
— Je m'appelle Raphaël, ravi de vous rencontrer, se présenta t-il d'un ton qui ne trahissait aucune émotion.
La jeune femme n'accepta pas sa main tendue. Se ratatinant sur sa chaise, elle croisa maladroitement les bras contre son torse, mal à l'aise, voir maladivement anxieuse.
— Coline. La meilleure amie d'Alya, répondit-elle avec difficulté.
Le chasseur sentit un poids s'abattre soudainement sur son pied. Il baissa la tête et aperçut un jeune chiot perché sur le bout de sa botte.
Non, pas un chiot...
Raphaël était chasseur depuis suffisamment de temps pour savoir reconnaître un métamorphe, peu importait son âge. Il avait affaire là à un jeune louveteau intrépide. Trop neuf pour se rendre compte des dangers de la vie, le loupiot mâchouillait le bout de sa chaussure avec insouciance.
— Laisse-moi te débarrasser de lui ! s'empressa Alya.
Il n'avait pas remarqué tout de suite que les deux femmes dans la pièce s'étaient tendues à l'extrême à l'apparition du louveteau. Faisant fi des paroles d'Alya, le chasseur se pencha et choppa doucement la bête par l'encolure. Intrigué par ce touché inconnu, le louveteau se désintéressa de sa botte et se laissa soulever à plus d'un mètre du sol.
Raphaël prenait la peine d'agir avec lenteur, assurant à la métamorphe à quelques mètres de lui qu'il ne comptait pas lui faire de mal. Il serait idiot de déclencher une bataille ici même, dans le salon de l'humaine qu'il peinait tant à conquérir.
Hissant le bébé à la hauteur de ses yeux, Raphaël se mit à l'examiner. Il n'avait rien de dangereux. Ses muscles étaient trop mous, ses réflexes trop faibles. Même ses crocs ne semblaient pas être capables de créer la moindre égratignure profonde.
— C'est le chiot de Coline. Oui, elle en a adopté un il n'y a pas très longtemps. C'est un jeune, euh, berger suisse et il s'appelle... Noireaux ! s'évertuait à expliquer Alya.
Raphaël commençait à se demander si elle n'était pas au courant de la nature surnaturelle et monstrueuse de ses amis.
C'est alors que la boule de poils noirs se pencha vers lui et lui laboura le visage...
...À coups de langue humide.
Les lèvres pincées entre elle et le nez retroussé, le chasseur ramena le louveteau contre son torse afin de lui bloquer l'accès à son visage. Il essuya le filet de bave sur sa joue à l'aide de son tee-shirt.
— Il est... adorable ! se força t-il à dire.
Il reposa alors le bébé métamorphe à terre. Mais au lieu de s'en aller à grands pas comme l'aurait fait tout être surnaturel normalement constitué, le petit se frotta affectueusement à ses jambes.
Raphaël protesta mentalement en apercevant la multitude de poils qui s'était accrochée à ses vêtements.
Ce sera sûrement plus facile à faire partir qu'une tache de sang, se rassura t-il.
— Je devrais peut-être partir et vous laisser entre filles.
Si le chasseur ne sautait pas de joie à l'idée de laisser sa frêle humaine en compagnie de la vile métamorphe, il ne voulait pas non plus paraître trop envahissant et faire fuir Alya. De plus, il avait d'autres choses à faire encore. Il repasserait plus tard et s'assurerait de son bien-être.
Tandis que Raphaël quittait la maison et marchait en direction de l'hôtel, il se mit à penser à la jolie boule de poils duveteuse qui lui avait joyeusement bondi dessus et l'avait admonesté de "baisers" affectueux. Il repensait à tous ces mentors qui lui avaient sans cesse répéter que toutes les créatures, sans exception, étaient des monstres sans cœur assoiffés de sang.
Les images du joyeux louveteau lui trottaient dans la tête, comme marquées au fer rouge sur sa rétine. Cet enfant n'avait rien d'un monstre. Il l'avait presque accueilli comme un membre de sa famille, alors même qu'il avait cherché à l'intimider.
Pour la première fois de sa vie de chasseur, Raphaël se mit à douter.
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Les Précurseurs de l'Harmonie
ParanormalDans un univers semblable au nôtre où l'existence des créatures surnaturelles n'est plus un secret, les chasseurs sont des êtres adulés. Ils débusquent les monstres, ces rejetons de l'enfer, et les éliminent afin de rendre le monde meilleur. Enfin...