Chapitre 21

8 3 0
                                    

Alya finit par rejoindre le lac une demi-heure plus tard. Elle était en nage, et ses jambes en feu - et pas pour des raisons magiques cette fois. La course l'avait presque vidée de ses forces. En fait, elle avait même trébuché lorsque le sol a commencé à s'incliner. La jeune femme était persuadée qu'une fougère coiffait actuellement sa crinière emmêlée. Mais le lac en valait le détour.

Ce n'était pas un lac commun. Il n'était pas si grand pour commencer. Et il était quasiment enseveli sous une tonne de rochers, le cachant presque à la vue des passants. Alya ne l'aurait jamais connu si son grand frère n'était jamais tombé dedans lorsqu'ils étaient enfants. Il faisait le pitre dans la forêt, la terre meule et la pente ont eu raison de lui. Il a plongé la tête la première dans l'eau gelée - c'était la fin de l'automne. C'était un beau souvenir qu'elle chérissait. Depuis, ce lac était devenu son sanctuaire.

—Où est Coline ? demanda t-elle à Simon.

—La boule de poils ? Déjà dans l'eau.

Le serval pataugeait en effet dans la marée d'eau, la langue pendant sur le côté. Cette vision amusa la jeune femme qui s'esclaffa franchement. Le gros chat se mit à miauler, comme une invitation à les rejoindre dans l'eau. Simon retira sa veste avant de plonger dans le lac. Il ressortit la tête de l'eau presque aussitôt.

—Qu'est-ce q-que t'attends p-pour nous rejoindre ? demanda t-il à la jeune femme restée sur la berge. Elle est su-su-super booooooonne.

C'était un bien mauvais menteur. Il grelotait de la tête aux pieds et son sourire plus que forcé trahissait sa mauvaise foi évidente. Malgré tout, Alya se hâta de les rejoindre. Après tout, elle n'était pas venue ici pour les regarder.

Elle retira ses chaussures ainsi que ses chaussettes et retira également son pantalon. Elle garda sur elle tout le reste de ses vêtements - elle n'avait pas vraiment pensé à prendre un maillot de bain. Elle s'engagea dans le lac. L'eau n'était pas si froide. En fait, la fraicheur de l'étang lui faisait du bien. La jeune femme commençait à apprécier n'importe quelles sources froides depuis que son corps avait pris l'habitude de jouer les volcans en fusion.

—Tu as raison, Simon. Elle est vraiment bonne, nargua t-elle le sorcier.

Elle passa narquoisement devant lui puis, prenant un air malin, elle aspergea son visage d'eau glacée.

—Tu n'es pas trop vieille pour ce genre de gaminerie ?

Simon était tout aussi âgé qu'elle - si ce n'était plus - ce qui ne l'empêcha pas d'invoquer un sortilège pour manipuler l'étendue d'eau. Une grande vague déferla sur Alya, emportant celle-ci sur plusieurs mètres. La jeune femme remonta à la surface en crachotant. Elle avait bu la tasse, ce qui laissa un arrière-goût vaseux dans la gorge de la blonde.

—C'est de la triche d'utiliser ta magie contre moi ! boudait-elle.

Au fond d'elle-même, elle avait trouvé ça vachement marrant.

Ils passèrent la moitié de l'après-midi à tenter de se faire couler les uns les autres, sans réel succès pour la jeune humaine. Lorsque le soleil commença à décliner, Alya se laissa flotter sur le dos, vidée de toute énergie. Elle se laissait emporter par le minuscule courant, dérivant sous le dôme de pierre.

Elle se sentait si bien, si tranquille. Pour la première fois depuis ces quelques jours, elle ne pensait plus aux chasseurs et au terrible sort qu'on lui avait jeté. Ne plus s'inquiéter de son avenir, ne serait-ce qu'un court instant, était si reposant qu'elle n'était pas sûre de vouloir quitter ce lac un jour. Pourtant, il allait bien falloir. La nuit allait bientôt tomber et sa mère se montrerait très sévère si elle venait à découcher.

À contre-cœur, elle nagea jusqu'à regagner la rive. Simon était étendu sur l'herbe. Ses vêtements étaient sec - sûrement la conséquence directe d'une nouvelle incantation magique.

—Où est Coline ? le questionna t-elle.

Il désigna le lac en face de lui.

Le serval était perché au sommet du plus haut rocher qui surplombait l'étang. Elle s'étira longuement, les fesses en l'air. Puis, elle sauta dans le vide, effectuant un parfait salto avant d'atterrir dans l'eau en contrebas. Coline ressortit quelques secondes plus tard dans sa forme humaine, un sourire triomphant ornant ses lèvres.

Simon et Alya applaudirent la prestation de la féline. Celle-ci se secoua dans tous les sens, comme si elle avait oublié qu'elle n'était plus sous sa forme de chat.

—À qui le tour ?

—Oh non, ce sera sans moi, se défila l'humaine. Je crois qu'on va plutôt rentrer. Il se fait tard.

Chacun reprit ses affaires et ils prirent la route en direction de la voiture. Leurs vêtements mouillés trempèrent les sièges du véhicule lorsque Coline et Alya s'y installèrent. Ça allait sentir le chat mouillé, rien de bien insurmontable. Alya démarra et ils dirent au-revoir à la tranquillité du lac.

—Je voulais te dire... commença Coline une dizaine de minutes plus tard.

Les douces secousses de la route goudronnée les berçaient. Simon ronflait même à l'arrière de la voiture, visiblement éreinté par leur escapade.

Alya continuait de fixer la route devant elle, mais toute son attention était portée sur son amie à ses côtés.

—Merci de nous avoir emmenés ici. Cela fait très longtemps que je n'ai pas laissé libre cours à ma part animale. C'est agréable de pouvoir faire ce que l'on veut, de montrer qui on est, sans avoir peur des répercussions. Je crois que je n'oublierai jamais cette journée.

La métamorphe jeta un œil à la banquette arrière.

—Et je pense que lui non plus, ajouta t-elle en désignant le sorcier assoupi.

Ses paroles bouleversèrent la jeune femme au plus profond d'elle-même. Jusqu'ici, elle ne s'était pas rendu compte à quel point leur manque de liberté devait peser sur ses amis. Aujourd'hui, elle comprenait.

Si seulement les chasseurs n'étaient plus là, ils pourraient s'épanouir librement. Au lieu de ça, ils étaient forcés de se cacher, de vivre comme des hors-la-loi, alors que la seule loi qu'ils aient transgressée jusqu'ici était celle de naître du mauvais côté de la civilisation.

Il n'existait pas une multitude de solutions. Les chasseurs devaient partir. Pas seulement de leur ville, ni même de leur pays. Pas une seule créature fantastique ne sera en sécurité et libre d'agir tant que la communauté des chasseurs perdurera. Ils devaient disparaître.

Ses sombres pensées firent écho à l'obscure entité qui subsistait en elle.

Le monde allait brûler.


Les Précurseurs de l'HarmonieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant