Les Précurseurs de l'Harmonie

Chapitre 1

Depuis la nuit des temps, les monstres parcourent le monde. Vampires, métamorphes, sorciers, toutes sortes de créatures toutes plus dangereuses les unes que les autres. Elles rôdent durant les heures les plus sombres et s'attaquent à quiconque se trouve sur leur chemin, semant derrière eux terreur et chaos.

Mais ça, c'était jadis. Avant les chasseurs, cette unité d'élite surentrainée qui n'aspire qu'à une seule chose : rendre le monde plus sûr.

Ils chassent les créatures, protègent nos citoyens. Ils sont les gardiens de la paix. Ce sont nos héros.

Alya éteignit la télévision d'un geste rageur, lassée de voir sans cesse apparaître ce genre de publicité grotesque. Ce n'était même plus un tas d'image et de son sur un écran, c'était devenu une véritable propagande.

Les chasseurs, des gardiens de la paix ? Des semeurs de chaos, oui.

Bien qu'âgée de seulement dix-neuf ans, Alya était tout sauf idiote. Le gouvernement bassinait le peuple à coup de slogan et de belles affiches, bernant les plus idiots. Même sa mère était empoisonnée par cette haine irrationnelle envers les créatures surnaturelles - ou comme ils aiment à les appeler : les monstres.

Cependant, s'il y avait bien une chose que sa mère ne savait pas, c'était que la meilleure amie de sa propre fille, celle qu'il lui arrivait d'accueillir en sa demeure, était une métamorphe. Une changeuse de peau. Un félin garou.

Alya ne savait rien de la nature de Coline le jour où elles se sont rencontrées il y avait déjà de cela dix ans. Mais quand vint le moment des aveux, la jeune fille n'eut aucunement peur d'elle. Coline était sa plus proche amie depuis des années, et si vraiment elle avait voulu un jour la dévorer vivante, ç'aurait été chose faite.

Voilà pourquoi Alya était profondément contre les chasseurs. Elle était intimement convaincue que toutes les créatures n'étaient pas forcément mauvaises - et à force d'en avoir côtoyé quelques-uns, elle en avait aussi la preuve.

Les habitants de Rouen - ville urbaine dans laquelle elle vivait - ne s'en doutaient pas, mais de nombreuses créatures se cachaient parmi eux. C'était parfois un gentil vendeur ou une bien-aimée nourrice. Ils pouvaient être n'importe qui, sans qu'on le soupçonnait. Ils se fondaient dans la masse. Mais dès que l'un d'eux se faisait démasquer, adieu les bonnes paroles et les gestes bienveillants. Tout partait aux oubliettes, ils ne restaient plus qu'une peur et une haine viscérale.

Vous pouviez sauver des vies tous les jours, tant que vous n'êtes pas cent pour cent humain, vous resteriez un monstre aux yeux de tous.

Un téléphone portable émit un léger vibrement près d'Alya, la tirant de ses sombres pensées. C'était Coline, la métamorphe à moitié humaine et à moitié serval, qui lui envoyait un message. Elle l'invitait à prendre un verre dans la soirée afin de se détendre de la semaine épuisante qu'elles avaient passée.

Alya et elle avaient déjà passé quelques soirées là-bas. C'était un endroit plutôt accueillant, avec des employés plus qu'aimables, et surtout de la bonne musique, des jeux d'arcades, et pour sublimer le tout : de belles coupes de glaces.

Si Alya aimait bien s'amuser, elle aimait aussi manger, que ce soit à n'importe quelle heure de la journée. Et elle ne dirait jamais non à un banana split bien garni.

Elle répondit en toute hâte comme quoi elle demanderait l'autorisation à sa mère. Elle était peut-être majeure, mais cette dernière avait été très claire : tant qu'elle vivait sous son toit, elle se devait de respecter ses règles.

La cohabitation était parfois difficile, sa mère était assez stricte. Mais Alya ne se plaignait pas - ou pas trop du moins - car la situation avait été bien pire lorsque son grand frère vivait encore avec eux. Au moins, aujourd'hui, elle n'avait plus qu'une seule personne sur son dos.

Sa mère dévala les escaliers à l'instant même où Alya voulut la chercher. Elle désirait ardemment rejoindre sa meilleure amie ce soir. Elle avait passé une longue et ennuyante semaine de cours et elle n'avait à présent qu'une envie : se détendre et glousser toute la soirée auprès de sa meilleure amie.

—T'as rien de plus productif à faire ? demanda sa mère.

Elle reluqua sa fille avachi sur le canapé du salon devant l'écran de télévision inanimé. Saisissant la perche, Alya se leva et lui fit part de sa requête.

—À ce propos, rebondit-elle, Coline m'a proposée de passer la soirée avec elle tout à l'heure. Est-ce que tu serais d'accord pour que je la rejoigne ?

Avec sa mère, elle avait une chance sur deux d'y aller - quand elle était de bonne humeur. Heureusement pour Alya, elle s'était déjà occupée de toutes ses tâches ménagères de la journée, sa mère n'aurait donc que peu d'excuses pour la retenir à la maison.

—Toujours à trainer dehors. T'as pas des devoirs à faire ? râla sa mère.

—Ils sont faits, mentit-elle à moitié.

Elle avait réalisé ceux qu'elle avait jugé les plus importants. Pour ce qui était du reste, elle remettait ce problème à plus tard.

—Tu es la première de ta classe ? la questionna t-elle nonchalamment en allant se préparer du café.

—Dans trois matières, avoua t-elle fièrement.

—Seulement ? Alors, tu peux encore t'améliorer, conclut sa mère.

Alya leva les yeux au plafond tout en soupirant de lassitude. Sa mère la taquinait, elle en était presque certaine. Mais cela ne l'empêchait pas de se sentir exaspérée face au comportement enfantin de sa génitrice.

Elle ne perdait jamais une occasion de l'embêter.

—Allez dégage. Laisse ta pauvre vieille mère seule à la maison pendant que tu t'amuseras égoïstement loin d'elle, tentait-elle de s'apitoyer.

—Merci ! s'exclama Alya joyeusement.

Elle monta les marches quatre à quatre, pressée de retrouver son amie. Elles discuteraient de la semaine qu'elles ont passée, se plaindraient de leurs professeurs plus qu'agaçants, puis jugeraient les physiques de beaux garçons tout en sirotant un cocktail sans alcool. Oui, ce serait une soirée mémorable.

Mais pas comme elle l'entendait.