Chapitre 3

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Raphaël se sentait perdu alors que la tornade blonde sortait du bar. Il avait l'impression d'avoir fait quelque chose de mal, mais impossible de savoir quoi. Il n'avait pas été désagréable, au contraire, il avait été suffisamment généreux pour lui offrir à boire. Et elle avait refusé.

Le jeune homme jeta un coup d'œil aux deux autres chasseurs qui observaient la scène de loin. De toute évidence, ils s'amusaient de voir une si belle tigresse résister au charme du grand Raphaël.

Depuis qu'il était entré dans cette unité anti-surnaturelle, sa vie n'avait plus été la même. Les femmes se jetaient à ses pieds sans qu'il eut à faire le moindre effort, et les hommes se pliaient en quatre pour lui faire plaisir. Ça lui avait paru étrange au départ, puis il avait fini par s'habituer à sa nouvelle célébrité.

Après tout, il sauvait le monde tous les jours de la cruauté des monstres de la nuit, il méritait bien une compensation.

Dès lors, sa vie était devenue facile. Il tuait des créatures la nuit, puis profitait de ses privilèges le jour. Il vivait comme un prince. Rien ne lui résistait, pas même les êtres surnaturels. C'était lui le meilleur !

Apparemment pas aux yeux de la jolie blonde.

Désireux d'arranger la situation, il la suivit à l'extérieur.

Il fut aussitôt accueilli par une pluie fine qui rafraîchit ses épaules dénudées. Il ne faisait pas beau temps dans le nord de la France, en particulier en Normandie. Depuis qu'il était arrivé, il n'avait cessé de voir d'épais nuages gris se précipiter dans le ciel.

Pas le top comme destination de vacances.

La petite blonde était dos à lui et, au vu de son corps tendu, elle l'avait entendu la rejoindre. Lorsqu'elle se retourna pour lui faire face, il jura que ses yeux pouvaient envoyer des éclairs.

—Tu n'as pas l'air enjouée de me revoir. Si j'ai fait quelque chose de mal, je suis désolé.

—Ma parole, ce que tu es borné !

Il haussa les épaules tout en souriant, ravi qu'elle le tutoie enfin.

—Je suis un chasseur, c'est dans ma nature.

S'il ne mettait pas autant d'acharnement au combat, il était certain qu'il serait mort depuis longtemps. On ne baissait pas les bras devant un ennemi difficile à vaincre. On se donnait à fond, parce que ce n'était pas seulement notre vie qui était en jeu, mais aussi celle du monde entier.

L'entièreté de son peuple comptait sur lui, sur son aptitude à débarrasser la Terre de ces immondices qu'étaient les êtres surnaturels. Et tant pis si on en ressortait avec des cicatrices. Il était de son devoir de se sacrifier pour protéger les plus faibles que lui.

—Je n'aime pas les chasseurs, affirma subitement la tigresse.

Raphaël fut pris de court par cette absurde déclaration. Finalement, il se mit à rire sans retenu.

—Ce n'est pas censé être drôle, se vexa la jeune femme.

Il la trouvait mignonne, elle lui faisait penser à ces chatons constamment contrarié. Toujours de mauvaise humeur, mais tellement adorable.

—Enfin, tout le monde aime les chasseurs !

—Je ne suis pas tout le monde, se contenta t-elle de répondre.

Ça, il l'avait remarqué. N'importe qui lui aurait sauté dessus en apprenant qu'il était chasseur - et un des meilleurs ! Mais pas sa tigresse, non. Celle-ci continuait de tirer la tronche comme s'il avait craché dans son petit déjeuner.

—Je propose qu'on reparte sur de bonnes bases. Tu oublies que je suis un chasseur, et je passe l'éponge sur ton côté grincheux.

—Je ne suis pas grin... voulut-elle protester avant de se rendre compte qu'il visait juste.

Raphaël lui tendit sa main sur laquelle une lourde bague brilla à la lumière des lampadaires.

C'était une tête de loup en argent, une sorte de trophée qu'il avait reçu après avoir exécuté de très nombreux métamorphes, en particulier des loups-garous. Les changeurs de peau n'avaient plus aucun secret pour lui, il les connaissait sur le bout des doigts. C'était son domaine de prédilection. Il pouvait en démasquer un rien qu'à sa façon de bouger. Ainsi, il était certain que la jeune femme en face de lui était cent pour cent humaine.

La petite blonde loucha sur sa main tendue, hésitante. Puis, soupirant de défaite, elle se résigna à la serrer.

—Enchanté, je m'appelle Raphaël.

Le chasseur attira sa main à lui afin de la lui baiser, mais sa propriétaire la lui retira d'un coup sec. La jeune femme semblait indignée à l'idée de ce qu'il avait tenté de faire. Il s'amusa d'une telle réaction. Ce n'était qu'un baisemain, mais sa blondinette réagissait comme si elle s'était apprêtée à commettre un crime.

—Et tu es... ?

—Persuadée que nous n'aurons plus à nous recroiser, de ce fait, il n'est pas important que tu saches mon nom.

Raphaël leva les yeux ciel, exaspéré tout autant qu'amusé par une telle ténacité.

—Il faut vraiment que je rentre chez moi.

—Je te raccompagne. Les rues ne sont pas sûres la nuit.

En effet, les monstres étaient moins réticents à sortir le soir, lorsque tout était plus calme et moins bondé. Ainsi, ils pouvaient profiter d'une pauvre victime isolée et sans défense.

Mais cela n'arriverait pas à la petite blondie. Il serait son chevalier servant et l'escorterait jusque dans sa maison, là où elle serait en sécurité.

—Sans façon, refusa t-elle pourtant.

—C'est très sérieux, je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose.

Il se sentirait terriblement coupable s'il la laissait partir seule et qu'elle se fasse attaquer sur la route.

—Il ne m'arrivera rien, et je ne ferai pas le chemin toute seule.

Il remarqua enfin la présence d'une grande brune de l'autre côté de la route. Les mains dans les poches de sa veste, elle semblait attendre quelque chose.

—Très bien, puisque tu es entre de bonnes mains... marmonna t-il, vaincu.

Il était inutile d'insister, la jeune femme n'était pas près de changer d'avis. Le chasseur la laissa donc rejoindre son amie puis s'éloigner du bar tranquillement. Il s'apprêtait à retrouver ses propres camarades, lorsqu'une petite voix dans sa tête lui souffla d'attendre encore un peu. Il continua alors d'observer le duo de femmes partir quand l'amie de sa blonde, n'y tenant plus, se retourna pour lui jeter un ultime coup d'œil.

Tous les muscles du chasseur se tendirent d'un bloc lorsque ses yeux rencontrèrent des iris au reflet inquiétant. La brune imitait au mieux la démarche humaine, mais son regard ne trompait pas.

C'était une métamorphe.

Raphaël fut tenté de prévenir ses camarades, mais les deux femmes tournaient déjà dans une autre rue. Il se résigna alors à les suivre seul. Il tâta la lame d'argent à l'intérieur de sa veste en cuir.

Ce soir, il rapporterait un nouveau trophée.

Les Précurseurs de l'HarmonieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant