19. Ken

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Assis au bord de la fenêtre je regarde les gens défiler dans les rues bondées de Paris. J'imagine un géant sortir de la voute bleutée qu'est notre ciel et poser son gigantesque pied sur les petites fourmis humaines que nous sommes. Sans remord. Comme nous.
Mon téléphone sonne, m'arrachant à mes pensées. C'est Safwa.

« Coucou mon tout petit lapin en sucre
- Ca va pas de m'appeler comme ca espèce de folle dingue. Qu'est-ce que tu me veux ?
- Comme tu n'a pas daigné venir aider pour mon déménagement je voulais au moins m'assurer que tu viendrais ce soir ?
C'est vrai que j'avais un peu coupé mon téléphone ces derniers temps. Envie de me couper du monde afin que mes pensées soient plus claires.
- qu'est-ce qu'il y a ce soir ?
- Putain t'es vraiment un ermite, et extrêmement mauvais en déduction par dessus le marché. C'est ma crémaillère idiot ! 20h sans faute, je te texte l'adresse. Si tu ne viens pas je viendrais te chercher. »
Et elle raccroche.
Évidemment que je vais venir. C'est ma meilleure pote. Et quel ami de merde je fais en ce moment moi... il faut que je me ressaisisse.

Je décide donc d'abandonner ma fenêtre et mes fourmis au destin tragique pour partir en quête d'un cadeau qui ferait la joie d'une tarée comme Safwa.
Je tombe subitement sur une petite boutique d'apothicaire où grouillent des milliers d'objets en tout genre. L'endroit est presque impraticable et le moindre mouvement risque de faire s'écrouler l'entièreté du magasin. Un objet attire alors mon attention. Une espèce de petite boîte, magnifiquement ornementé, de couleur rouge et doré.
L'apothicaire s'approche lentement de moi, s'appuyant sur sa vieille cane. Et me murmure de sa voix chevrotante:
« C'est un coffret à médicaments secs de l'antiquité grecque. Hérité de mon père, qui l'a hérité lui même de son père. Ça doit dater du IIe siècle avant Jésus Christ... au moins... y a bien des musés qui rêveraient de l'obtenir celui là mais ils me sortent tous par les trous de nez. »
Je rigole à la remarque désinhibée du grand-père. Mais ce coffret me fait de l'oeil. L'histoire est belle et cela correspond tout à fait à la période Gallo-Romaine qu'étudie Safwa pour son doctorat. Je pense que ça lui plaira.
« Pourquoi le vendez-vous? C'est un objet précieux. Demandais-je au vieux.
- Oh mon petit. Je me fais bien vieux, dans quelques années j'aurais les dents sèches. Je veux que ces pièces de valeurs appartiennent au monde, au vrai. Que des familles perpétuent l'héritage. Je détesterai que ce soit les riches investisseurs des musées qui en profitent. Eux ils me sortent par les trous de nez. Répète-t-il.
- Je vous le prends alors.
- Vous n'êtes pas un gestionnaire de musée ? Non parce que ceux là ils me sortent vraiment par...
- Les trous de nez. Je sais. Rassurez-vous. Je suis musicien.
- Ah ! Musicien. J'ai de belles partitions de piano à 4 mains si vous voulez.
- C'est gentil. Je ne joue pas de piano. Dis-je en repensant, presque nostalgique, à ma discussion avec Noa. Je vais rester sur ce petit objet, il a une belle signification pour moi, c'est pour une amie archéologue, elle va adorer.
- Oh dans ce cas je vous fait un petit paquet spécial. »
Et j'observais ainsi le petit apothicaire, courbé sur son bureau, prendre grand soin d'emballer à l'aide d'un imprimé papyrus et d'un petit autocollant « plaisir d'offrir », le petit coffret pour Safwa.

Il est 20h30 et j'ai fais l'effort arriver presque à l'heure pour me rattraper de mon silence récent. Je sonne à l'adresse indiquée, entendant déjà résonner la musique au travers de la porte. On m'ouvre enfin après de longues secondes d'attente. J'ouvre brusquement la bouche en voyant Noa, la poignée de la porte en main et un sublime sourire collé sur son parfait visage. Elle ne semble pas surprise. Et sourit de plus belle. Je pourrais en faire tomber le coffret si précieux.
« Salut Ken, Safwa va être super contente de te voir. Comment tu vas ? Dit-elle joyeusement en me tirant à l'intérieur de l'appartement. Je sens son doux parfum floral danser avec mon âme lorsque nos joues se touchent pour se dire bonjour.
N'oublie pas son mec ken.
- C'est cool de te voir ici, tu es arrivée à l'heure toi au moins. Bégayais-je. C'est nul comme phrase ça putain Ken ressaisit toi.
- Oui je suis arrivée y a deux semaines même. Fait-elle amusée
- Wow. Je sais que tu es une âme charitable mais là ça fait très en avance pour aider à préparer une crémaillère dis donc.
Elle rit. Dieu ce rire. J'ai envie de rire aussi.
- Ah oui en effet, elle ne m'a pas menti en disant que tu étais dans un autre monde. Bienvenue sur Terre Mr Samaras, j'habite ici, nous vivons en colocation Safwa et moi. »

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