26. Noa

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Immédiatement après avoir touché le mur je sens mes dents se desserrer. Ma mâchoire se relâche, je lève les yeux vers l'écran d'affiche des chronos et y voit ma première place. Mon meilleur temps, mon record de France que je viens de battre. Je soulève légèrement mon bonnet de mes oreilles, vidant l'eau logée à l'intérieur. Les cris de la foule me parviennent alors, tout le monde est debout, et applaudis. J'en ai encore les frissons rien que d'y penser. Je déteste être le centre de l'attention mais je dois bien avouer que ces moments sont transcendants. Je suis fière. Je reviens de loin, l'année passée n'a vraiment pas été facile sur le plan sportif. J'ai trop tiré la corde à l'hôpital, trop donné partout à la fois et mon corps n'a pas suivi, j'ai eu de mauvais résultats, toujours championne de France de justesse mais plus sélectionnée en équipe de France. Et je compte bien me rattraper cette année. Je salue rapidement le public de la main, arborant mon plus beau sourire. Les journalistes me sautent immédiatement dessus à la sortie de l'eau. Qu'est-ce que je déteste ça... faire réagir les sportifs à chaud à peine remit de la course, encore essoufflés... mais c'est le jeu et leur métier je ne vais pas les envoyer balader. Je réponds rapidement à leurs questions avant de plonger récupérer.

Tom ne perd pas de temps pour venir me féliciter. Il a lui aussi gagné sa course juste avant moi, le 50 mètres papillon. Nous nous échangeons des félicitations cordiales, papotons un peu de tout et de rien histoire de prendre des nouvelles. Nous ne sommes pas gênés de la situation, c'est agréable qu'il n'ait pas de rancune. Son coach finit par s'impatienter et veut débriefer avec lui. Il s'approche alors de moi et me dit :

« Je ne devrais pas te le dire mais j'ai eu écho qu'une ancienne nageuse va revenir en équipe de France pour les mondiaux... Une certaine Noa quelque chose... ».

Et après un petit clin d'œil, c'est tout sourire qu'il repart, me laissant un peu béate après cette bombe.

Ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué... Ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué... Je ne vais pas (vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué ? de trop celle-là ...). Non je ne vais pas me laisser miroiter des opportunités comme celles-ci alors que rien n'est officiel. Certes j'ai fait un bon début de saison mais rien n'est joué. Il y a encore beaucoup de travail et je n'ai reçu aucune annonce ni de mon coach ni de personne.

Après la remise des médailles et des dizaines de photos, l'équipe de réunit pour un débrief des 5 jours de compétitions qui viennent de prendre fin.

Sarah me rejoint le sourire jusqu'aux oreilles :

« T'es dans la merde ma belle. Me dit-elle

- Quoi ?

- Les 6 prochains mois vont être hard core je préfère te prévenir

- Arrête, rien n'est sur

- Jonathan vient de me le confirmer. C'est plus une rumeur, tu seras en équipe de France. Donc si tes 6 prochains mois vont être hard core jte le dis

- Et alors ça va pas changer de d'habitude

- Mais meuf...

« BON ON M'ÉCOUTE S'IL VOUS PLAIT ! interromps mon entraineur.

Comme vous le savez on doit faire un débrief des performances de ce weekend, on a eu une rapide réunion avec la commission et la fédération française de natation parce qu'on va en profiter pour vous annoncer les sélectionnés en équipe de France cette année. On fait ça tôt dans la saison parce que comme vous le savez, enfin pour les plus malins d'entre vous... Benjamin ne te sens pas concerné... nous sommes dans une année olympique. Les championnats du monde seront donc une opportunité de sélection pour les Jeux. Vous avez tous les capacités de vous y coller si vous vous sortez les doigts du cul. Je préfère vous prévenir, jusqu'ici on a laissé passer quelques libertés, personnelles et professionnelles. Je distingue un regard furtif de mon coach dans ma direction à ce moment, accompagné d'un coup de coude de Sarah. Mais si on vous met le grappin dessus en équipe de France il va falloir s'investir, vous aurez un contrat. Obligation de moyens, pas d'obligation de résultat, mais croyez-moi bien que vous m'aurez sur le dos pour vous y obliger quand même. »

Il aime bien faire le militaire énervé ...

Après avoir prolongé son speech pendant d'interminables minutes, il débite enfin la liste tant attendue.

Mon nom est prononcé. Ainsi que celui de Jonathan, Benjamin, Tom et Sarah. Malheureusement Manon et Marc n'ont pas été retenus.

Je suis tellement heureuse. Je réalise tout de même les sous-entendus de mon coach à propos de l'investissement personnel et surtout des libertés professionnelles. C'est vrai que je n'ai pas le même rythme que mes camarades, impossible à tenir malgré la bonne entente avec l'hôpital qui m'accorde beaucoup de temps pour les entrainements en raison de mon statut de sportive de haut niveau. Pour les mois à venir il va falloir faire plus, beaucoup plus. Je pense alors à ma thèse, que je n'ai pas encore soutenue, à l'association, à mon semestre en cours, à ma famille que je vois trop peu, à Ken... Attends à Ken ??? Non mais c'est une blague pourquoi je pense à Ken, qu'il dégage de ma tête lui !!!

Je sens une vague de stress m'envahir. J'essaie de garder la face et ne rien montrer devant l'enthousiasme de mes amis. Je réponds machinalement aux félicitations, sachant pertinemment que je ne fais que retarder le moment crucial où il faudra choisir entre carrière médicale et carrière sportive. On ne peut pas tout avoir.

Nous sortons finalement de la piscine, accueillis par Safwa et les garçons. Ken est en retrait, silencieux mais me fixe du regard. Nous planifions de nous retrouver dans un bar du 11e arrondissement après nous être lavés de cette vilaine odeur de chlore qui ne quitte jamais vraiment notre peau.

De retour à l'appartement, Safwa est inarrêtable, elle me raconte son travail à Londres, sa passion pour ce qu'elle fait, ses collègues, la mode londonienne, me prête un haut puis un autre pour ce soir. Je suis si heureuse de la retrouver. Cette femme est l'âme de cet appartement et sa présence réchauffe toujours l'ambiance.

J'enfile des collants, une jupe noire et un top moulant rouge prêté par Safwa. De belles bottines à plateforme, une veste et de grosses créoles et nous voici en route vers le bar.

Nous y retrouvons tous mes amis nageurs, cernés comme jamais. On est tous fatigués mais heureux de profiter une dernière fois dehors avant de mettre la tête dans l'eau non-stop pour cette préparation des mondiaux.

Tout avoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant