Plusieurs semaines se sont écoulées depuis mon emménagement avec Safwa, mon âme sœur. Je ne sais pas si comme elle ne cesse de le répéter, notre rencontre est un signe du ciel mais nous sommes extrêmement complémentaires.
En parallèle d'avoir trouvé une sœur, j'ai adopté un groupe de mecs. Les garçons ont très souvent passé des soirées chez nous en raison de « l'espace dans votre salon wesh ». Mais pour notre plus grand plaisir. J'ai pu les découvrir chacun plus intensément, nouer une vraie relation avec eux.
Framal, le petit mais grand frère, toujours très doux et protecteur avec tout le monde.
Doums, le rigolo, toujours présent pour un jeu de mot, joue l'intouchable à tourner en dérision chaque sujet intelligent mais ayant tant besoin de cet entourage sérieux.
Théo, le sentimental, un peu en retrait il sait pourtant occuper des conversations très instructives.
Mohammed dit Sneazz' ou sneazzy parle toujours de sapes et prend très soin de son style tout en le niant ce qui me fait follement rire.
Mekra avec qui la communication est compliquée, tantôt très investi tantôt distant voire désagréable. Je laisse son feeling du moment mener la danse mais ne m'investis pas trop.
Et enfin Ken. Tout le monde nous taquine constamment sur notre ambiguïté. C'est vrai que nous nous cherchons en permanence. Les sous entendus sont presque insoutenables mais si excitants. Mais à force de s'apprivoiser, de se côtoyer toujours plus fréquemment, une gêne et timidité s'est installée sur nos sentiments respectifs. Aucun n'ose franchir la barrière. Alors l'humour est notre mantra. Nous rions tellement tous les deux.
En parallèle, il m'ouvre à un monde inconnu; à son monde. Celui de la douceur, de la musique, et de la poésie. Ken prend beaucoup le temps pour les choses. Il se pose, étale ses idées, griffonne. Comme un enfant il a besoin de ses temps calmes et j'avoue qu'il apaise le tempérament de feu et hyperactif qu'est le mien.
Et il parle comme il chante. Il manie si bien les mots. Lyriques sont toutes ses phrases qui m'obsèdent et trottent des jours dans ma tête. Grace à lui j'ai lu beaucoup de poésie récemment et me sens bien plus douce. J'ai l'impression de voir le monde au travers de ses yeux et de solutionner la folie de la vie par la douceur des vers.Aujourd'hui est un jour particulier. Il nous a tous invité dans la maison de son grand-père en Grèce. Lui a besoin de changer d'air pour écrire, tout comme les autres. Et moi j'ai une semaine de pause et le calme de la mer me fera la plus grand bien.
Chacun entasse son sac dans le coffre du taxi direction l'aéroport. Comme des enfants, tous plus excités les uns que les autres, les chants fusent en rythme.
Nous arrivons enfin après plusieurs heures de trajet devant une sublime bâtisse en pierre, aux fenêtres habillées de leurs plus beaux volets du fameux bleu cycladique de Grèce. Le soleil commence doucement à mourir sur l'horizon, laissant des nuances de rose et orange jouer avec le blanc des façades. L'endroit est superbe et nous nous sentons tous automatiquement apaisés. Un vieil homme est assis devant la maison dans une chaise en bois et joue de l'harmonica. A la vue du petit groupe, il se lève, empoigne sa cane et vient enlacer Ken. C'est son grand-père, Adonis. Il nous salue ensuite un à un avant de nous conduire dans la pièce à vivre où règne une bonne odeur de pin et de sucre.
« Je vous ai cuisiné un petit quelque chose, j'espère que ça vous plaira, je n'ai plus l'habitude de recevoir autant de monde depuis que ta grand-mère est partie Aki.
- Je sais bien Papous, ne t'en fais pas, tout sera parfait. »
Au cours de ce merveilleux repas composé de Moussaka, de salades en tout genre et de petits pains grecs pour finir sur de bons baklavas faits maison, j'ai appris de nombreuses choses sur Ken dont le nuage mystérieux commence petit à petit à se désépaissir. Constamment surnommé « Aki » par son grand-père en signe d'affection, il prend la forme du petit garçon ouvert, léger et épanoui ici. Le sourire toujours braqué sur les lèvres, je le sens revivre. La douceur de la simplicité et le ralentissement du temps sont si bons. J'en ressens moi aussi les bien faits.
Adonis commençant à fatiguer, nous l'aidons à débarrasser et ranger la table. Nous décidons de finir la soirée sur la plage. Nous emportons quelques bouteilles d'alcool et nous installons enfin sur une plage de sable fin en contrebas de la maison d'Adonis.
L'ambiance est détendue, et après quelques aller-retours dans l'eau nous nous posons tous en cercle sur une grande couverture apportée par Ken.« Nek file une clope stp. Demande Mekra en tendant le bras vers Ken
- J'en ai plus gros. Répond ce dernier
- Vas y arrêtes de tminik j'ai vu qu'il t'en restait une »
Les deux garçons commencent à débattre gentiment jusqu'à ce que je demande:
- Ça veut dire quoi tminik ?
Ils rigolent.
- Ah ouais, ça se voit elle a été élevée chez les blancs elle. Me crache Mekra presque agressivement.
- Ça veut dire quoi ça ? Lui dis-je énervée
- Bah rien tu fais croire que t'es cultivée et intelligente mais tu sais pas grand chose en fait.
- Bah wesh qu'est-ce qu'il t'arrive mon grand t'as un soucis ? Dis-je
Mekra ne me répond pas et attrape un gobelet pour se servir un verre de whisky.
- J'ai pas honte de pas savoir quelque chose non heureusement.
- Tu devrais c'est triste pour toi d'avoir eu aucune mixité là où t'as grandit, ça ferait de toi une meuf bien plus intéressante.
- Non mais j'hallucine tu crois vraiment ce que tu dis ? Dis-je blessée.
Pas de réponse
- Non je n'ai pas honte de ne pas tout savoir, j'ai 25 ans encore heureux, la vie serait bien fade si je savais déjà tout. En revanche tu pourrais avoir honte, toi, de rabaisser quelqu'un qui demande à comprendre quelque chose. On t'a jamais apprit ça à l'école ?
Pas de réponse. Je renchéris alors, sentant la colère monter de plus en plus.
- Tu crois que ça a été facile de grandir comme la seule métisse dans un petit village de campagne ? Je peux t'assurer que non. J'ai pas eu la chance comme vous autres de naître dans une région où j'ai été ouverte à la mixité. Moi j'ai du me créer mes propres figures identitaires et me modeler à une culture unique parce qu'on m'a montré que ça. Et d'ailleurs j'en ai pas du tout honte, j'aime bien le village où j'ai grandit et la culture campagnarde et je m'en branle de ce que t'en penses. C'est plutôt à toi d'avoir honte de croire que je suis pas légitime de demander.
Tout le monde se tait. Je ne voulais pas mettre une mauvaise ambiance mais j'ai trouvé la réflexion de Mekra super déplacée et triste. Je me lève alors brusquement, énervée et pars marcher un peu plus loin. Quelques secondes plus tard Mekra me rattrape.
- Je suis désolée Noa je pensais pas ce que j'ai dit t'es une meuf intéressante...
- Je m'en branle de ça, c'est quoi ton problème Mekra à m'agresser sans cesse ?
- Je sais pas, je suis pas à l'aise en ta présence.
Je m'arrête net. Quoi ?
- Je sais pas... Pour être honnête avec toi, j'avais des vues sur toi quand je t'ai rencontrée, t'es une meuf de dingue et tu le sais j'ai pas besoin de t'expliquer pourquoi. Mais c'est Ken et toi les personnages principaux de l'histoire ça crève les yeux.
- Mais...
- Attends laisse moi finir s'il te plait. Dit-il. Maintenant j'ai tourné la page sur toi t'inquiète. Juste ce qui m'énerve avec toi c'est qu'on sait pas ce que tu veux, tu arrives, t'es partout mais nulle part en même temps. Tu cherches Ken constamment mais je t'ai vue avec un mec à la bibliothèque et t'as démenti ça devant tout le monde l'autre fois.
Je suis un peu choquée de ces révélations et de cet affront super direct. Lui qui a toujours été très distant voire presque méchant avec moi s'ouvre complètement ce soir. Je ne sais pas trop quoi en penser.
- Alors écoute premièrement je suis contente que tu me dises enfin quelque chose d'autre que des horreurs parce que c'est assez compliqué depuis qu'on se connait toi et moi. Dis-je doucement.
- Oui je sais... je...
- Attends laisse moi finir s'il te plait. Dis-je pour l'imiter. Deuxièmement, en effet j'ai fréquenté ce mec que tu as vu à la bibliothèque et c'est un mauvais concours de circonstances parce que ce jour-là je lui ai dit que l'on ne se verrait plus.
- Pour Ken. Me coupe-t-il
- Pas pour Ken non pour moi. Comme l'a dit Safwa, j'ai pas beaucoup de temps pour moi alors encore moins pour des histoires de mecs. Je ne démens pas le fait qu'il y a quelque chose entre Ken et moi. C'est une amitié spéciale, facile et on se complète très bien. Mais ce n'est que ça pour le moment.
- Pour le moment... Répète-t-il un sourire aux lèvres.
- S'il te plaît, ne mets pas de pression sur mes épaules, la vie est assez compliquée comme ça, j'ai vraiment pas envie de me casser la tête à anticiper et comprendre en détails ce que je ressens.
- On voit tous ce que vous ressentez tous les deux. Mais ok je capte pas de pression. Fais quand même attention à lui, il est fragile le petit père... Et je suis désolé pour toutes les fois où j'ai paru sec, je suis pas quelqu'un qui fait confiance facilement.
- C'est normal, on se connait depuis peu de temps et la confiance ça se créée.
- T'es chiante quand même.
- QUOI ???
- Tu parles bien...
- Tu pourras t'inspirer pour tes textes je dirais rien. Fis-je ironiquement.
- Sans rancune ? Me dit-il en tendant la main
- Sans rancune lui dis-je en le prenant dans les bras. »
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Tout avoir
General FictionNoa est une jeune étudiante en médecine, championne de natation, elle vit à 100 à l'heure en essayant de suivre le rythme et d'y ajouter du temps pour la famille, quelques amis et les sorties. La pièce manquante à cet univers presque plein à craquer...