20. Le chasseur (quinze ans)

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Lonely – Palaye Royale

Daisy. C'est à son visage d'ange que je pense quand je me réveille le septième jour dans les redrooms. J'ai rêvé d'elle, cette nuit. Mieux qu'un rêve, c'était un souvenir.

Celui du moment exact où je suis tombé amoureux d'elle.

C'est survenu à la bibliothèque du lycée. Elle traînait sur les canapés avec ses copines pendant que Tristan, Isaac et moi effectuions un tour d'horizon pour élaborer un canular avant les vacances.

On vadrouillait entre les étagères quand soudain, un rire cristallin a forcé les rouages de mon cerveau en pause. C'était un son pur et mélodieux. On a tous pivoté vers sa source. Sous le regard noir de Marjo l'alcolo, notre tarée de bibliothécaire, Daisy a baissé les yeux tandis que son visage devenait aussi écarlate que son pull en maille.

Mon cœur s'est mis à battre plus fort. C'est à ça que j'ai su : cette fille serait mienne.

Et voilà qu'elle a disparu.

— Daisy ?

Le lit qu'elle occupait en face du mien est vide. À la place de ses longs cheveux châtains qu'elle laisse souvent cascader jusqu'au sol, il n'y a que la poussière qui virevolte dans l'air. Les menottes qui emprisonnaient ses poignets reposent ouvertes sur le matelas, reliées au mur par des chaînes. Et il y a du sang sur la couette, mais il date de deux jours, quand nos ravisseurs ont introduit une lame de rasoir à leurs jeux tordus.

— Daisy ?

Je la cherche vainement dans la pénombre, constatant au passage que les caméras fonctionnent toujours. Il y en a deux, chacune braquée sur un lit. Leur voyant rouge clignote pour me narguer.

— DAISY ?

Je tends l'oreille dans l'espoir de repérer un son, n'importe lequel, dans toute la maison. Je ne perçois que le chant des oiseaux qui se courtisent de l'autre côté des volets fermés. Et puis ça commence : des gémissements. Pas dans cette pièce, mais dans celle d'à côté.

— C'est ça, trésor, t'es une gentille fille.

Je reconnais la voix de baryton de Negan. C'est la première fois depuis le début de notre calvaire que notre tortionnaire en chef éloigne Daisy de moi, et mon cœur se fend en deux quand j'imagine ce que lui et ses acolytes lui infligent. Ils me brisent chaque fois qu'ils la brisent elle, et c'est pire maintenant que je ne peux plus la voir.

Ne pouvant plus respirer, je me frotte le torse du plat de la main.

Elle ne mérite rien de tout ça. Elle est la meilleure personne que je connaisse sur cette foutue planète. Elle est la compassion et la bienveillance incarnée. Pour preuve : un après-midi, alors que je l'accompagnais à pied à son cours de violon, on a croisé la route d'un papillon bleu avec une aile déchirée. La créature ne pouvant plus voler, elle l'a recueillie au creux de sa main et l'a tenue entre nous.

— Je vais être en retard... tu peux veiller sur lui ?

— Petit cœur, on peut rien faire. Il va mourir.

— Je sais, mais je veux pas qu'il meure seul.

Fasciné par ses implorants yeux verts, je lui ai promis de prendre soin de la bête. Daisy a pu se rendre à son cours, certaine que j'accompagnerais l'insecte durant les dernières heures de son existence. C'est le genre d'homme que je suis depuis que je l'ai entendue rire dans la bibliothèque.

Et maintenant que je l'ai perdue de vue, je vrille.

— DAISY !

Je tire sur mes chaînes pour frapper le mur. Dans ma fureur, j'enfonce même mon poing dans la cloison, mais la connasse me résiste. Abattu, je m'effondre sur mon lit et fixe le plafond. L'unique chose qui m'aide à réduire la douleur au silence, c'est les souvenirs heureux qui survivent dans mon cœur.

RavagésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant