5. Petit faon

86 8 0
                                    

Zella Day – Crazy Train

La douche. L'endroit où il est impossible de différencier l'eau et les larmes. On dit qu'elles sont le sang de l'âme... non pas que j'en verse la moindre sous ma douche.

Vous ne me croyez pas ?

C'est la magie des douches : vous ne pouvez pas savoir si c'est vrai ou faux. Alors peut-être que je pleure, mais moi je vous dis que non. En tout cas, les frissons qui courent sur ma peau quand je sors de la salle de bain sont réels, eux.

En traversant le couloir jusqu'à ma chambre, une simple serviette nouée autour de moi, je ne peux pas m'empêcher de penser à mon stalker. La nuit est tombée. L'idée de découvrir sa silhouette vaporeuse à ma fenêtre, ou pire, dans ma chambre, réveille en moi un étrange sentiment d'anticipation.

Je n'explique pas le rire cristallin qui a résonné dans le salon hier soir, mais je suis persuadée que c'était l'œuvre du traqueur. Il s'est introduit dans la maison pour me jouer un sale tour. Si je venais à me retrouver nez à nez avec lui au tournant d'un couloir, j'ignore comment je réagirais.

Première option : retirer ta serviette. Hypnotise-le avec tes seins. Le temps qu'il s'en remette, tu pourras le foutre au placard.

Soit. Au moins, on se marrerait un peu.

Deuxième option : planquer un couteau dans chaque recoin de la baraque pour le couper en rondelles.

Libérant un soupir las, je pénètre dans ma chambre en scannant aussitôt l'espace d'un œil circonspect. Le vide à l'intérieur de moi palpite lorsque je constate que je suis seule.

Ce n'est pas ce que tu voulais?

— Ferme ta gueule, putain.

La voix maléfique dans ma tête est foutrement bavarde, ce soir. D'habitude, elle ne me dérange pas, sauf quand elle joue l'avocate du diable. Je l'imagine comme une version miniature de moi-même, avec des cornes et une queue fourchue. Le démon sur mon épaule, si vous préférez.

Si un ange a un jour reposé sur l'autre, je n'ai jamais eu le privilège de le rencontrer.

Je me plante au pied du lit, les lèvres écartées de confusion. J'étais persuadée d'avoir laissé un tanga propre sur ma couverture en laine. Et devinez quoi ? Il a disparu. Je me rappelle pourtant avoir déposé le tissu en dentelles noires à côté de mon pyjama.

Je doute que Glabby soit à blâmer. Mes sous-vêtements ne sont d'aucun intérêt pour une vieille peau fantomatique comme elle. Quant à mes gardiens, je crois que même sous la douche, j'aurais entendu leurs pas de bovin sur le parquet.

Bah merde alors.

Je râle en fouillant mon bac à culottes, puis autour. Bien sûr, je n'en trouve aucune. Elles sont toutes étendues dans le salon. J'ai dû faire une machine sans lessive aujourd'hui, parce que Rob n'est pas foutu de m'en fournir.

Tant pis. J'enfile mon débardeur puis un short en mode commando. Un vent intrusif s'infiltre dans mon entrejambe tandis que je dévale les escaliers.

Mmh... ce n'est pas si désagréable.

Je me prépare une tisane que je verse dans une tasse « meilleure maman du monde ». Inévitablement, les yeux de ma mère se rappellent à moi. Les mêmes que les miens, d'un bleu abyssal parsemé de filaments plus clairs, presque gris. Le reste de son visage n'est devenu qu'un souvenir nébuleux dans mon esprit.

À défaut de me remémorer son apparence, je me remémore d'autres détails. Par exemple, elle me défendait de consommer du café. Elle prétendait que ça me jouerait des tours dans la tête.

RavagésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant