24. Petit faon

94 8 5
                                    

3am– Halsey

La mort. C'est un peu la façon qu'a la vie de nous licencier, vous ne trouvez pas ? J'y pense souvent, à la mort. La mienne, parfois, mais surtout à celles des connards que je rêve d'enterrer depuis ma tendre enfance.

De toute évidence, Rob se situe en haut de ma liste noire. Billie n'est pas loin derrière, suivi de près par tous les toquards qui bossent pour mon aîné. S'ils lui ont un jour serré la main, ils méritent de crever. Et à la toute fin, entre parenthèse et ponctué d'un point d'interrogation, il y a Caleb. Avec lui, mon cœur balance, tiraillé entre la rancœur et un sentiment que je n'ose pas nommer.

Mais la liste est longue, et la vie que je mène est périlleuse. Je pourrais rendre l'âme avant d'en atteindre le bout. Qui pleurera mon décès si ça arrive ? Qu'adviendra-t-il de mon corps ? Quelles musiques joueront à mes funérailles ?

Aurai-je seulement droit à des funérailles ?

En général, c'est quand je commence à chercher la chanson parfaite pour clamser que je me mets à danser comme une possédée pour chasser ces démons de mon esprit. Parce que la vérité, c'est que j'aime bien l'idée de vivre.

— À quoi tu penses ?

La voix de Tristan me tire de mes rêveries. Je tapote la clope que j'ai piquée dans le paquet de Caleb au-dessus du pot de confiture et rétorque d'un ton plat :

— À notre fin inéluctable.

Steven, qui est assis en face de moi à la table de la cuisine, ricane entre deux gorges de son jus d'ananas. Il ignore que je dis la vérité, mais peu importe ; je rigole avec lui.

À cause de notre soirée improvisée d'hier, j'ai dormi jusqu'à midi. Il est désormais vingt et une heures et j'ai toujours la tête dans le cul. Tristan m'a préparé un thé que je sirote entre deux taffes. C'est sûrement un contrecoup de la coke, mais je me sens malade. Mon nez ne cesse de couler, et ma gorge m'irrite comme si j'avais choppé une allergie.

— Tiens, goûte ça.

Le métis apporte une cuillère de sauce fumante à mes lèvres. J'ouvre docilement la bouche et pousse un gémissement audible lorsque sa bolognaise envahit mes papilles.

— C'est beaucoup trop bon !

— Je sais, s'exclame-t-il en s'essuyant sur son tablier Batman. Recette de famille.

— C'est donc ça ma vie, maintenant ? pensé-je tout haut. Être nourrie à la cuillère par un dealer ?

— T'es pas une sainte non plus, ma belle.

Ouais... c'est vrai que j'ai drogué et séquestré le chef de leur petit gang. C'est loin d'être le pire de mes crimes, mais je préfère laisser ces souvenirs enfouis au fond de moi.

Mes yeux cherchent Caleb et le trouvent en train de décompresser dans le salon avec Isaac. Le crépitement de l'eau dans la casserole et la ventilation de la hotte m'empêchent d'espionner leur conversation, alors je reporte mon attention sur ses lèvres. En toute franchise, je suis incapable de lire ce qu'il dit, mais je continue de les fixer parce que...

Ai-je vraiment besoin d'une raison ?

— Comment vous êtes devenus amis, tous les quatre ?

Chloé, qui est en train de se faire les ongles à côté de Steven, renifle dans son coin.

— Sûrement à une réunion de criminels anonymes, raille-t-elle sans lever les yeux de son travail.

Je rigole toute seule. Le pyromane me dévisage d'un air bizarre avant de secouer la tête.

RavagésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant