J'inspire un grand coup alors que le soleil caresse ma peau au gré du chant des oiseaux diurnes accompagnés par la brise entre les branches des arbres. Une sensation de plénitude m'envahit alors que je suis installée dans l'un des fauteuils luxueux et confortables de la terrasse de la villa. Cela doit faire une bonne dizaine de minutes que j'attends mes parents pour que nous allions ensemble à la cour. Mais, aujourd'hui, au lieu d'accompagner ma mère dans chacun de ses déplacements, j'irai me promener dans les jardins avec les vipères. J'ai ouï dire que ces dernières gravitent autour du prince pour avoir la chance d'être soit la future reine, soit l'une de ses favorites. Je vais me fondre dans la masse même si ce genre d'ascension sociale ne m'intéresse pas.
Mine de rien, j'apprécie la vie à la cour : c'est confortable et peu fatigant malgré tous les hypocrites qui la peuplent. Mais mon ancienne vie me manque beaucoup. J'aimerais bien retourner à la ferme pour m'occuper et être en contact avec les animaux, travailler dans certains champs et passer ma journée à l'extérieur, sous les rayons brûlants du soleil de Shuarachas. Même si cela m'amène à devenir aussi rouge qu'une tomate. Un sourire nostalgique étire mes lèvres alors que je me perds dans l'infini de mes souvenirs d'enfance.
Des voix me tirent de ma torpeur. Je relève les yeux et croise l'émeraude de ceux de ma mère. Son visage est souriant, pour une fois, et elle paraît de bonne humeur.
— Bonjour, Mère. Tu sembles d'excellente humeur aujourd'hui.
Elle se tait et plaque un air mystérieux sur ses traits. Étonnée, je bondis sur mes pieds pour lui faire face. Je la détaille des pieds à la tête et remarque qu'elle cache ses mains dans son dos.
— Que caches-tu ?
Ma mère reste muette et, avant même que je ne puisse à nouveau la questionner, elle me dévoile ce qu'elle me dissimulait. Je papillonne des paupières en apercevant une lettre scellée des emblèmes royaux. Intriguée, je m'en empare du bout des doigts. Comme ma mère continue de me fixer et ne me repousse pas, je passe l'enveloppe au crible. Une écriture délicate et tremblante orne le recto. L'encre noire a un peu bavé, mais cela n'enlève rien à la grâce de la calligraphie.
— Ouvre-la.
Je reporte mon attention sur ma mère qui piaffe d'impatience. J'esquisse un sourire en coin et décide de la faire languir encore un peu. J'examine le papier avec insistance, impressionnée par son grain et sa qualité. Sa blancheur aussi et sa propreté.
— Rose, souffle ma mère, fébrile, cesse de me faire attendre. Ouvre cette lettre !
Je ricane et m'apprête à ma taquiner, mais je renonce face à son regard noir et brise le sceau. Je sors la missive de sa prison de papier et la déplie.
Chère Rose,
C'est avec plaisir que je t'envoie ce billet. J'espère que tu me pardonneras pour ma calligraphie peu agréable à décrypter. Ilyas se moque sans cesse de moi à ce propos...
Mais ce n'est pas pour me plaindre de mon frère ou te raconter mes petits malheurs que je t'écris.
J'ai passé une excellente soirée hier et j'ai grandement apprécié notre conversation. Lors du banquet, ta personnalité solaire m'a charmée et enchantée. Et la manière dont tu es passée outre la hiérarchie pour me parler d'égale à égale m'a énormément plu.
Des bruits de voix dans les appartements des favorites de mon père m'ont appris que tu avais démarré ta vie à la cour en étant au service de la marquise de Dikaizosyni. Des rumeurs laissent entendre que tu faisais du bon travail et que la marquise était contente de t'avoir eu à ses côtés pendant cette semaine. Et qu'elle regrettait que tu ne puisses rester pour t'occuper d'elle, même si ta mère faisait de l'excellent travail.
Depuis peu, une place est vacante pour faire partie de mes suivantes. J'ai dû me séparer de l'une d'entre elles à cause de son efficacité à répandre des bruits de couloirs croustillants aux personnes en bas de la hiérarchie de la cour. Elles sont désormais deux : ma conseillère depuis toujours et aussi ma nourrice, la vieille Asteïry, et sa fille Steïlla. Toutes deux sont adorables et j'ai une entière confiance en elles.
Je pense que tu commences à comprendre où je veux en venir... J'aimerais que tu entres à mon service, même si tu n'as pas une grande expérience de la cour. Et même si tu ne fais pas partie de l'entourage proche des suivantes royales, j'aimerais t'avoir à mes côtés. Surtout pour cela en fait...
Je serai dans les jardins jusqu'à midi. Si tu acceptes, rejoins-moi près de la fontaine aux loups lorsque tu arriveras.
En espérant te revoir dans la matinée,
Frengaïry
Incrédule, je relève la tête et plante mon regard dans celui de ma mère.
— Alors, que dit cette lettre ? demande-t-elle, intriguée par ma réaction.
Aucun mot ne franchit la barrière de mes lèvres. Je n'arrive pas à croire ce que je viens de lire et replonge dans le contenu de cette missive. Peu importe le nombre de fois que je la relis, je ne parviens pas à y croire.
— Rose ! hurle ma mère. Cesse de te comporter comme une attardée mentale et partage donc ta découverte !
Je contracte les mâchoires alors que qu'elle gâche ma joie avec son égoïsme et son impatience. Elle ne doit pas lire la lettre, car il y est noté noir sur blanc que la marquise de Dikaizosyni aurait préféré me garder à son service, moi, plutôt que ma mère.
— La princesse Frengaïry a beaucoup aimé notre discussion lors du banquet de la veille, résumé-je. Comme il y a une place vacante pour être l'une de ses suivantes, elle me propose de la prendre et d'entrer à son service.
— Mais encore ? demande-t-elle en plissant les yeux. Ça ne peut pas être seulement pour cette raison.
— En effet. La marquise de Dikaizosyni a mentionné que j'avais bien travaillé lors de la semaine où j'étais à son service et la princesse a apprécié que je fasse fi des statuts sociaux hier soir. Que je la traite comme je l'aurais fait avec une personne de son âge.
Ma génitrice fronce les sourcils et pince les lèvres, pas convaincue par ce que je viens de lui révéler.
— Tu es sûre ? Donne-moi cette lettre que je la lise.
Pourquoi faut-il qu'elle soit toujours aussi intrusive ! Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire pour qu'elle lâche l'affaire ?
— Lila ? Rose ? Où êtes-vous ? retentit ma voix de mon père depuis le salon. Nous devons y aller ou je serai en retard pour l'entraînement matinal.
Sauvée par le gong ! Après m'avoir fusillée du regard, ma génitrice se détourne pour le rejoindre.
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Blood & Flowers 2 - Rose & Thomas
Werewolf[Tome 2 de "Blood & Flowers"] /!\ Un chapitre tous les mardis et vendredi à 19h00 /!\ Rose doit quitter son train-train quotidien. Henri, son père, devient un soldat de la garde royale et Lila, sa mère, la suivante de la Marquise de Dikaizosyni. Pou...