Un cri strident déchire le voile de la nuit. Je redresse la tête et me lève d'un bond. Je reste immobile face à la porte de notre chambre, inquiet pour la suite des évènements. Le travail a commencé depuis déjà dix bonnes heures. Tout allait assez bien lors des quatre premières, mais ça s'est compliqué par la suite à cause du rapprochement et de l'intensité toujours crescendo des contractions. À chacune d'entre elles, Rose a dû se tenir le ventre, s'asseoir ou s'allonger, selon la durée et la douleur qu'elles lui infligeaient. Grâce aux conseils de ma belle-mère, qui vient tous les deux jours depuis que Rose m'a appris sa grossesse et est rentrée à la maison avec moi, mon épouse met en pratique des exercices de respiration qui l'aident à atténuer, pendant quelque temps, sa souffrance.
Le silence étouffe notre demeure. Les serviteurs ont stoppé tout mouvement dans l'attente d'un hurlement indiquant que l'accouchement débute. En vain. Seul le vent siffle sa sinistre mélodie à l'extérieur, comme une annonce funèbre. Je soupire et sautille sur place à cause du stress. Mon cœur bat la chamade et mon souffle est court. Je sais, pour l'avoir entendu à de nombreuses reprises, que la future mère risque sa vie durant la mise au monde du petit être qu'elle protège en son sein. Je râle, frustré, alors que les médecins de ma famille me laissent dans l'ignorance. Je fais les cent pas, attendant impatiemment que la porte de notre chambre s'ouvre en grand. Je tiens à assister à la naissance de notre enfant et l'ai expressément fait savoir au personnel soignant avant qu'il ne s'enferme dans la pièce avec ma femme.
Le temps passe et le silence règne toujours en maître. Je jure dans ma barbe et me dirige d'un pas furibond vers la porte qui me sépare de Rose. Au moment où je pose la main sur la poignée, elle s'abaisse et le panneau de bois s'ouvre. Je pile avant de rentrer dans la personne qui me fait face.
— Maé, l'accouchement ne devrait plus tarder. Veuillez me suivre, s'il vous plaît.
J'acquiesce et la talonne, déterminé à soutenir Rose dans la dernière ligne droite de cette épreuve. Un tabouret rembourré a été installé à mon attention près du lit. Rose est couchée, jambes maintenues écartées en l'air par des tissus en coton blanc, et une couverture dissimule le bas de son corps. Un pull en laine recouvre son imposante poitrine tendue par le lait destiné au nourrisson dont l'arrivée est imminente.
— Comment tu te sens ? lui demandé-je même je n'ai aucun mal à le deviner à ses traits tirés et ses cernes de deux pieds de long.
— Fatiguée et j'ai mal... J'ai hâte qu'on en finisse.
Je lui prends la main, la serre dans un geste de réconfort, puis l'amène avec tendresse à ma bouche pour l'embrasser.
— Courage. C'est la dernière ligne droite.
Rose n'a pas le temps de me répondre. Une violente contraction la cueille de plein fouet et elle hurle autant de douleur que de surprise. Notre discussion, si brève soit-elle, lui a permis de penser à autre chose et d'oublier que le pire est à venir. Sa souffrance est telle que ses paupières se closent et que ses sourcils se joignent. Sa bouche se crispe en un rictus douloureux qui me laisse voir ses dents serrées entre elles. Une veine ressort sur sa tempe gauche malgré les exercices de respiration qu'elle s'évertue à faire.
— Rose ! C'est le moment, lui murmuré-je, la voix tremblante d'émotions. Écoute ce que les médecins te disent. Ils ont de l'expérience en accouchements. Fais ce qu'ils te demandent et laisse de côté tes exercices de respiration.
— J'ai... mal, murmure-t-elle dans un râle à peine audible. S... si je ne fais pas ça, c... c'est pire.
— Il est en train de sortir, madame, intervient alors l'une des sage-femmes venues en urgence pour prendre le relais des médecins. Suivez nos indications et vos douleurs passeront très vite.
Rose souffle et lance un regard irrité vers le personnel soignant qui ne lui adresse pas plus d'attention que cela...
— Maé, crache-t-elle en reportant ses yeux désormais noirs de colère. C'est le seul et unique. Plus jamais tu m'engrosses, t'as compris ?
Je papillonne des paupières, stupéfait par sa virulence et les changements dans sa manière de parler. Je n'ai pas le temps de lui répondre, car la sage-femme l'enjoint à suivre ses instructions. Rose pose sa main libre sur son ventre caché sous la couverture et écrase la mienne de l'autre. Je retiens un couinement pitoyable et me contente de la laisser faire. Après tout, elle souffre bien plus que moi en ce moment... Si cela lui permet de se décharger un peu...
— Poussez, madame !
— Elles... me... soûlent...
Malgré toute l'aversion qu'elle semble ressentir pour ces femmes qui fixent son intimité sans une once de pudeur, elle les écoute et suit leurs instructions à la lettre.
J'étouffe un juron alors que Rose broie toujours plus fort mes doigts avec l'arrivée imminente de notre enfant. Des perles de sueur dégoulinent sur ses tempes. Ses paupières restent résolument fermées, ses sourcils sont figés en une expression de douleur absolue et sa bouche est tordue en une grimace effrayante. Si c'était possible, j'aurais vendu mon âme pour éviter qu'elle souffre ainsi. À la place, je me contente d'absorber l'étreinte destructrice de sa main.
Un cri strident suivi de pleurs incessants coupe chaque souffle dans la chambre. Il est là... Sa voix porte et raisonne dans le silence religieux de la pièce. Il est assoiffé et réclame les bras chauds de sa mère. L'une des sage-femmes clampe le cordon ombilical, essuie notre bébé et nous l'amène. Elle s'approche de moi et une de ses collègues me donne une pince ombilicale stérile.
— Souhaitez-vous le couper, Maé ?
Je hoche la tête, muet sous le coup de l'émotion qui me submerge tel un raz-de-marée. Elles se rapprochent de moi en voyant que je suis incapable de lâcher la main de Rose. Je m'empare de la pince et sectionne, en suivant les instructions des médecins, l'ultime lien qui le relie physiquement à sa mère. Je tends ma main libre pour accueillir notre enfant, mais la sage-femme recule d'un pas.
— La maman en premier, Maé.
Elle me sourit gentiment et se tourne en direction de Rose. Malgré la fatigue qui se peint sur son visage, elle écarte les bras pour étreindre notre bébé. Dès qu'il entre en contact avec elle et que sa chaleur corporelle l'étreint, il se calme et soupire d'aise. Ses mains potelées s'agrippent à chaque parcelle de peau de Rose, lui arrachant un rire. Elle lui donne accès à son sein et lui caresse doucement la tête.
— C'est un garçon, souffle alors la sage-femme, restée muette pendant toute la scène.
— Bienvenue parmi nous, Adrian, murmure Rose en cajolant notre fils après un regard dans ma direction.
VOUS LISEZ
Blood & Flowers 2 - Rose & Thomas
Manusia Serigala[Tome 2 de "Blood & Flowers"] /!\ Un chapitre tous les mardis et vendredi à 19h00 /!\ Rose doit quitter son train-train quotidien. Henri, son père, devient un soldat de la garde royale et Lila, sa mère, la suivante de la Marquise de Dikaizosyni. Pou...