Chapitre 19 : Maé

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Nous sommes arrivés depuis pas mal de temps, mais Rose dort si profondément que je n'ose pas la réveiller. Elle s'est laissée aller sur mon épaule et je suis désormais immobilisé. Je n'ai d'autre choix que de patienter que ma belle quitte le monde des songes pour revenir sur la terre ferme. Le soleil commence déjà à décliner et je devine que les températures en baisse finiront par la tirer de son sommeil. J'attends et, très vite, des grelottements parcourent son corps. Je dois me faire violence pour ne pas la couvrir : si je cède à cet instinct, elle replongera dans l'inconscience et ce sera compliqué de la réveiller.

— On est arrivés, ma chérie, déclaré-je alors que ma femme frissonne de plus belle. Il faut qu'on rentre.

Ses paupières papillonnent et Rose me fixa par-dessous la dentelle de ses cils de feu. Je déglutis tandis que son innocence me saute davantage au visage. Elle sort à peine de ses rêves que je la trouve irrésistible. La bouche sèche, je l'embrasse en tentant au maximum de réfréner mes pulsions primaires. Je désire la faire mienne là, tout de suite, sur la banquette de notre hippomobile, mais je sais qu'elle n'est pas encore prête à aller plus loin... Je rejette donc mes pensées lubriques et les cadenasse dans un coin de ma tête, les gardant pour plus tard lorsque je me retrouverai seul.

— Allez, viens, l'encouragé-je en me relevant. Les domestiques ont déjà tout préparé. Et ce qu'on a ramené aujourd'hui a été installé pendant ta sieste.

— J'ai dormi longtemps ? demande-t-elle, les joues empourprées.

Je hausse un sourcil, pas trop sûr de comprendre pourquoi elle a honte, avant de me rappeler qu'elle a elle-même emballé ses cartons chez ses parents et qu'elle a descendu ce qu'elle pouvait malgré les injonctions de sa mère. Peut-être qu'elle aurait aimé faire la même chose ici...

— Une heure, je dirais, mais ce n'est pas grave. Si tu avais été éveillée, ils s'en seraient tout de même occupés. Rentrons maintenant.

Rose hoche la tête et se redresse. Je bondis sur mes pieds, m'extirpe de la calèche et lui tends la main pour l'aider à descendre. L'obscurité a envahi la cour plantée de la demeure et je n'ai pas envie qu'elle se brise la nuque. Elle me rejoint, s'appuie au chambranle de la porte et balaie les environs du regard. Les lampes à huile extérieures se reflètent sa cornée. Je souris et observe dans la même direction qu'elle. Malgré ma grande connaissance du terrain, je ne discerne que des ombres mouvantes autour de nous et, plus loin, seules les ténèbres nous tendent les bras. Je reporte mon attention sur Rose alors qu'elle est toujours plongée dans sa contemplation aveugle et l'attire à moi pour la ramener dans le présent. Un rire franchit la barrière de ses lèvres et je l'aspire en lui volant un baiser. Je l'accompagne ensuite vers le porche, puis l'entraîne à l'intérieur de ma demeure. De notre demeure. Les serviteurs s'empressent de récupérer nos manteaux, puis se retirent.

— Bienvenue chez nous ! m'exclamé-je en ouvrant grand les bras pour désigner le bâtiment. Je te fais visiter ?

Elle accepte d'une petite voix timide et me suit à travers la grande pièce qui forme tout le rez-de-chaussée.

— Comme tu peux le voir, la cuisine est ouverte sur le salon et la salle à manger. Ça permet à nos serviteurs d'être plus réactifs. Suis-moi, lui dis-je en l'entraînant vers l'escalier monumental en marbre dont nous franchissons les marches jusqu'au palier de repos.

— De quel côté veux-tu aller ?

— La volée de droite, déclare-t-elle sans hésitation.

Je lui souris et la guide d'un pas sûr. Quand nous arrivons sur la coursive, je retiens ma respiration, sachant déjà quel spectacle nous attend. Une exclamation émerveillée retentit dans mon dos et mes lèvres s'étirent encore plus.

— Je comprends encore plus pourquoi tu gardes cette grande maison.

Un mur-rideau jouxte la coursive et nous accompagne à travers notre exploration. Il ouvre la vue sur la forêt qui s'élève aux alentours. De nuit, elle n'est qu'une silhouette uniforme et dansante au gré du vent. La masse paraît valser pendant que les rayons de la lune se reflètent sur le vert des feuilles. Le ciel apparait aussi dans toute sa splendeur alors que les lumières parasites de la ville sont loin, très loin de cette demeure malgré sa proximité avec la capitale. Les étoiles brillent sur la voûte céleste et nous offrent un panorama nocturne d'une beauté et d'une pureté absolues.

— On continue la visite ?

Elle acquiesce et attrape la main que je lui tends. Je l'entraîne vers le couloir qui se forme à l'endroit où les deux coursives se rejoignent. Nous y pénétrons et le clair de lune guide nos pas dans l'étroit corridor.

— À droite se trouvent deux chambres d'invités. Derrière la porte de gauche, il y a la mienne. Qui est aussi la tienne à partir de maintenant.



Blood & Flowers 2 - Rose & ThomasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant