Chapitre 23 : Rose

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Je m'installe sur le banc au centre de la roseraie pour la septième fois de la semaine. Les quelques jours de repos que j'ai pris chez mes parents m'ont vraiment fait un bien fou. Je n'ai plus à me soucier des cours que me prodiguent les femmes de la famille de Maé ni à encaisser les paroles venimeuses de la matriarche. Je peux enfin me recentrer sur moi-même, sur mes besoins et mes envies. Et surtout, cette retraite m'a permis d'accepter ma grossesse et de tourner définitivement le dos à mon enfance. La vie grandit en mon sein et je ne peux plus agir sur un coup de tête, sans penser aux conséquences de mes actes.

Je vais être mère.

Le bien-être, la santé et la sécurité de ce petit être sont de ma responsabilité. Et si un malheur arrive à mon enfant, je ne pourrais jamais me le pardonner. Je ferai tout ce qui est en son pouvoir pour que mon fils, ou ma fille, soit le plus heureux possible. Peu importe les sacrifices que je devrai faire pour cela.

Un mouvement à la périphérie de mon champ de vision m'alerte. Je me redresse et observe les environs. Marguerite se tient à quelques mètres de moi, une enveloppe à mon attention sur un plateau d'argent. Curieuse, je m'en empare et la descelle pour en sortir le contenu. Un papier de bonne qualité m'effleure les doigts. En l'ouvrant, une écriture soignée et légèrement penchée me saute aux yeux. Je la reconnais instantanément et me mords les lèvres.

Dois-je réellement en prendre connaissance ? Ou puis-je faire comme si cette missive n'était jamais arrivée ?

Les paroles de la matriarche me reviennent en tête aussi violemment qu'un boomerang.

« Tu t'enfuis ? »

Je serre les dents, foudroie le portrait imaginaire de la vieille peau qui sert de grand-mère à mon époux et lis la lettre que ce dernier m'a fait parvenir.

« Ma chère Rose,

Une semaine s'est écoulée depuis que tu as précipitamment quitté la demeure de ma famille. Je n'ai eu qu'un mot de ton père quant à l'endroit où tu loges en ce moment. Il ne m'a pas dit la raison de ton retour ni la durée de ton séjour chez eux.

Déjà une semaine est passée et je n'ai aucune nouvelle de ta part. J'aimerais te revoir pour que nous discutions de ce qui te tracasse. J'aimerais partager tes soucis pour t'en décharger, te conseiller et t'en débarrasser. N'est-ce pas le rôle d'un mari après tout ?

Je viendrai chez tes parents après ma journée de travail pour que nous puissions nous retrouver. Tu pourras choisir d'y rester encore quelque temps si tes problèmes te rongent toujours. Ou tu pourras revenir habiter dans notre maison si ton cœur et ton esprit se sont apaisés.

À ce soir, ma douce.

Maé »

Je soupire. Il est temps que je lui annonce la nouvelle. Je ne peux plus me défiler. Je suis même quasiment certaine que cette harpie de matriarche s'est chargée de le faire pour moi ! Un grognement m'échappe et je range correctement la lettre dans son enveloppe.

— Marguerite ? Est-ce que tu pourrais aller me chercher plusieurs romans, s'il te plaît ? Je compte passer ma journée dans la roseraie.

Ma domestique s'incline, un sourire sur les lèvres, puis disparait entre les nombreux rosiers aux fleurs éclatantes. Le silence envahit de nouveau le bâtiment de verre et d'acier. Je souffle et reprends ma lecture. J'ai quasiment fini cette magnifique histoire et cela me désole. Mon cœur s'est attaché à l'héroïne alors qu'elle vit mille et une péripéties pour retrouver sa dignité perdue à cause de sa sœur... Et le cheval blanc qui l'accompagne avec autant de fidélité malgré ce qu'elle est devenue lui arrache toujours une larme. Ce roman, je l'ai lu et relu un nombre incalculable de fois. C'est mon préféré parmi tous ceux que ma mère m'a offerts pour passer le temps quand j'étais enfermée dans notre demeure, sans aucune chance d'avoir un contact avec le monde extérieur.

Blood & Flowers 2 - Rose & ThomasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant