Je prends congé auprès de la princesse Frengaïry et ses suivantes alors que la journée touche à son terme. Je me dirige vers la fontaine aux loups qui se trouve dans les jardins du château et m'assieds sur le rebord pour contempler l'eau qui coule depuis la gueule de la sculpture de loup. Le vent s'engouffre dans mes cheveux et je repense à tout ce qui s'est passé depuis que j'ai emménagé avec Maé.
Les rumeurs sur mon compte vont bon train depuis que la nouvelle de mon mariage avec le chef de la garde royale se répand comme une traînée de poudre à la cour. Les personnes qui m'ont félicitée se comptent sur les doigts de la main et Maddie en fait partie. Les femmes m'ont insultée, ont cassé du sucre sur mon dos et ont même tenté de me mettre plus bas que terre alors que j'étais encore sur mon petit nuage de bonheur. Mais je suis passée outre leur médisance empoisonnée et les ai complètement ignorées pour me concentrer sur mon travail auprès de la princesse.
Désormais, tout ça, c'est du passé. Je quitte le monde de la cour pour vivre au sein de la famille de Maé à sa demande. Il souhaite que je passe plus de temps avec les anciennes de son clan, car il ne me juge pas assez mâture pour gérer un foyer.
Je ne peux pas lui donner tort. Mes parents m'ont trop couvée pendant mon enfance. En lui payant des cours particuliers avec des professeurs réputés, ils ont désiré rattraper le temps perdu pendant lequel je travaillais à la ferme sans aller à l'école, mais les leçons qui m'ont été dispensées n'étaient axées que sur la culture, l'histoire, la bienséance et les mathématiques. Tout ce qui touche au rôle de la femme dans une famille est passé à la trappe. Alors Maé a demandé aux anciennes de sa famille de faire en sorte que ce manque de connaissances soit comblé avant que je ne tombe enceinte.
Ma formation commence d'ailleurs demain et je stresse à mort. Je n'ai encore jamais rencontré ses proches. Ils ne sont même pas venus à notre mariage ! Malgré tout, Maé compte me laisser en immersion totale pour éviter que je ne me repose trop sur lui. Pour me permettre, selon lui, d'aller vers les autres plus rapidement et d'apprendre à établir le contact avec des étrangers. D'ailleurs, ses parents, grands-parents, frères et sœurs viennent dîner chez nous ce soir, histoire de faire un peu connaissance.
Un raclement de gorge me ramène dans le présent. Je détourne mon regard du jardin pour le poser sur le nouvel arrivant. Un doux sourire s'étale sur mon visage alors que je reconnais la silhouette de mon époux malgré le contre-jour. Il se penche vers moi, puis m'embrasse tendrement.
— Comment s'est passée ta dernière journée à la cour ?
— Pas trop mal. La princesse m'a offert une de ses broches comme cadeau de départ et a écrit une lettre de recommandation si l'envie de revenir à la cour me prenait.
— En voilà une bonne nouvelle.
Il m'attrape les mains, me tire à lui et me remets sur mes pieds. Il me propose son bras pour m'escorter jusqu'à notre hippomobile et je m'y cramponne, puis nous nous y dirigeons en discutant de nos journées et du menu pour le repas du soir.
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Lorsque la voiture s'arrête devant notre demeure, nous prenons quelques minutes pour profiter des dernières heures du jour en nous promenant dans les jardins de notre résidence. L'air frais nettoie mon visage des problèmes de la journée. Le chant du feuillage des végétaux m'aide à oublier mes préoccupations. Les chœurs des oiseaux charment mes oreilles et nous isolent, Maé et moi, du monde extérieur. Nous sommes dans notre bulle de confort et de douceur. Le silence règne entre nous tandis que les gravillons crissent sous nos pas lents. Au bout d'une trentaine de minutes, nous nous accordons à rentrer et nous préparer pour la rencontre avec la famille de Maé.
L'horloge sonne huit heures lorsque les sabots des chevaux retentissent dans l'allée. Je me précipite au mur-rideau de notre chambre et aperçois deux hippomobiles font leur entrée. Elles s'arrêtent à tour de rôle devant le parvis. La famille de Maé en descend et est accueillie dehors par nos serviteurs. Je pousse un lourd soupire et entrouvre la porte qui me sépare du couloir. J'entends nos employés s'empresser de les inviter à s'installer sur les canapés en cuir du rez-de-chaussée. Ils les débarrassent de leurs affaires, puis se retirent dans l'espace cuisine pour terminer les préparatifs. Le majordome reste à la disponibilité des invités, statique comme une statue de marbre. Les grands-parents s'assoient sur le sofa central. Les parents, sur celui à leur gauche. Et le reste de la fratrie, sur celui de droite. Au centre se trouve une table basse en bois où reposent des rafraîchissements pour tous. Maé pose une main au creux de mes reins, me faisant sursauter. Je plonge dans ses yeux verts et il me sourit. Je tente de lui rendre, mais je pense avoir plus grimacer qu'autre chose.
— C'est à nous, me chuchote-t-il en m'invitant à quitter la sécurité de notre chambre.
Il me tend son bras sur lequel je pose ma main et nous nous engageons dans l'escalier.
— Monsieur et madame de Lirotito !
Les servants cessent leurs activités et baissent la tête pour nous saluer. Les frères et sœurs de Maé bondissent sur leurs pieds et font de même. Les parents se lèvent et nous observent. Quant aux grands-parents, ils ne bougent que la tête pour me scruter de haut en bas.
Quand nous arrivons à leur hauteur, Maé fait un discret signe de la main et la famille se réinstalle sur les canapés. Il m'invite à m'asseoir sur le sofa restant et me rejoint promptement après un rapide coup d'œil aux serviteurs pour qu'ils se remettent à leur tâche.
— Bonjour à tous, retentit sa voix dans la grande pièce, j'espère que vous avez fait bon voyage et que vous n'êtes pas trop fatigués.
De brefs grognements, soupirs et paroles lui répondent.
— Je vous présente donc mon épouse, Rose de Lirotito, anciennement de Louloudi.
Je me lève et exécute une courbette pour les saluer avant de me réinstaller.
— À défaut d'être belle, claque la voix sévère de la matriarche, vous êtes polie.
Je me fige. Le ton est donné. Les hostilités sont ouvertes. Je redresse la tête pour faire face à l'une des grands-mères de Maé. Cette dernière arbore un rictus mauvais et son regard me met au défi de lui répondre. Sans réfléchir aux conséquences de mes actes, je souris de toutes mes dents et déclare avec un calme et une assurance feinte :
— Je vous retourne le compliment, madame.
Ses yeux me foudroient sur place et je remercie Dynamo de ne pas avoir donner aux regards le pouvoir de tuer. Sinon, je serais mangerais déjà la luzerne par la racine. Même si je suis impressionnée par sa présence, je ne détourne pas la tête et me contente de la fixer sans aucune émotion. Un silence de mort tombe dans la demeure. Les gestes des serviteurs ont cessé dans l'attente du résultat de notre joute. Les parents de Maé se sont aussi figés et les enfants se retiennent de rire, sans doute par respect pour les anciens. L'ambiance est polaire et Maé a posé une main sur ma cuisse. L'autre est fermée en un poing compact sur son genou.
— Tu as du répondant ! explose de rire le patriarche. J'aime ça.
Son intervention détend l'atmosphère et surprend sa femme. Elle met fin à notre duel pour le fusiller du regard, mais il n'y prête pas la moindre attention, trop concentrée sur ma personne.
— Vous me flattez, monsieur, souris-je, reconnaissante qu'il ait étouffé dans l'œuf la tempête qui se préparait à exploser.
— Appelle-moi Christophe, voyons ! Nous faisons partie de la même famille désormais.
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Blood & Flowers 2 - Rose & Thomas
Werwolf[Tome 2 de "Blood & Flowers"] /!\ Un chapitre tous les mardis et vendredi à 19h00 /!\ Rose doit quitter son train-train quotidien. Henri, son père, devient un soldat de la garde royale et Lila, sa mère, la suivante de la Marquise de Dikaizosyni. Pou...