L'horloge indique maintenant 18h20. Chaque seconde qui passe amplifie la tension dans l'air. Lylia, ma demi-sœur, joue nerveusement avec une mèche de ses cheveux roux flamboyants, tandis que ses yeux fixent anxieusement la file de voitures qui nous sépare de la gare. Je la connais assez bien pour savoir que ce n'est pas seulement la peur de rater son train qui la tourmente, mais le poids de ce départ vers l'inconnu.
— Si je loupe mon train...
La voix de ma passagère tremble. À l'intonation de cette dernière, je sais qu'elle est plus que tendue. L'enjeu est important pour elle. Ce n'est pas juste un train à prendre. C'est celui qui la mène vers une nouvelle vie.
— Oui, tu me tues, je sais. Même si j'aurai largement le temps de disparaître. Tu ne réussiras jamais à me rattraper avec tes petites jambes.
J'exagère. Ses jambes sont aussi longues que les miennes, et je suis plutôt grand. Lylia, avec ses longs cheveux ondulés d'un roux flamboyant, soupire et repose sa tête contre la vitre côté passager. C'est ma demi-sœur. Aucun lien de sang entre nous, juste l'amour inconditionnel de ma mère et de son père depuis bientôt vingt ans. Nous avons très peu d'écart d'âge, ce qui rend notre relation d'autant plus fusionnelle.
— Ton train ne part qu'à 18h45, on va y arriver.
Je tente de la rassurer, même si je commence à douter en voyant les voitures immobiles devant nous. Nous étions pourtant à l'heure, mais son côté maniaque nous a fait partir en retard. Elle devait vérifier que chaque électroménager était bien éteint, que toutes ses affaires étaient parfaitement rangées. Dix minutes avant, et nous étions loin devant ces satanés bouchons. J'aurais pu exécuter chacune de ces tâches le lendemain, nous évitant cette crise de panique dans la voiture.
— C'est peut-être un signe, me lance-t-elle entre deux bruits de klaxons mêlés aux injures lancées par les conducteurs impatients. Je ne devrais peut-être pas y aller. Pas cette année. Après tout, pourquoi partir si loin ? Hein ? Et puis, quelle idée de tout laisser pour un projet qui ne marchera peut-être pas...
Elle enfouit sa tête dans ses mains et étouffe un cri. Après cinq années d'études pour devenir orthophoniste, celle que je considère comme ma petite sœur plaque tout pour lancer son entreprise avec sa meilleure amie. Qui aurait cru que coller des écussons sur un jean deviendrait un jour un effet de mode ? Pas moi, en tout cas, bien que je n'aie jamais douté de ses capacités. Elle a toujours aimé ce qui est vintage, même si les années quatre-vingt-dix ne sont pas si loin que ça.
— Paris, ce n'est pas si loin, je dis, tentant une dernière fois de l'encourager. Tu seras bientôt une star, et je ne serai qu'un lointain souvenir.
— C'est peut-être le seul moyen que j'aurai pour me débarrasser de toi, me lance-t-elle avec un clin d'œil.
— Tu serais bien embêtée pour faire tes allers-retours à la gare.
— Grâce à mon futur succès, je pourrai me payer un chauffeur personnel.
Je laisse échapper un rire jaune, plus pour moi-même que pour quiconque, et me perds dans mes pensées. Depuis toujours, j'ai ressenti ce besoin intense de protéger Lylia. Peut-être un peu trop, je le concède. Notre relation a toujours été particulière, un mélange de complicité et d'un sentiment protecteur presque fraternel. En grandissant, nous étions inséparables, mais aussi les cibles faciles des moqueries incessantes des autres. À l'école, je n'étais qu'un gamin de taille moyenne, un peu enveloppé, avec ces horribles lunettes à monture épaisse qui me donnaient un air encore plus maladroit. Mon visage rond n'a fait qu'accentuer l'impression que j'étais un personnage de bande dessinée, toujours à côté de la plaque.
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Les roses du destin [Terminée, En Réécriture]
RomanceGabrielle, fraîchement célibataire après une rupture difficile avec Olivier, décide de tout quitter pour repartir à zéro. Elle choisit de s'éloigner de sa famille et de ses amis pour s'installer dans une nouvelle ville, avec l'espoir de reconstruire...