Cette visite m'a mis en retard pour le début de ma soirée avec Antoine. En voyant le temps tourner, je n'ai même pas pris la peine de lui parler de la propriétaire un peu trop envahissante. Tant pis pour elle, c'est ma vengeance pour m'avoir fait perdre mon temps, après une journée éprouvante.
Antoine m'attend dans le seul bar de la place du village, deux bières devant lui, dont une bien entamée. C'est un lieu où le temps semble s'étirer, un endroit où il n'y a jamais vraiment foule, ce qui garantit que notre table préférée est toujours libre. Située dans un coin discret, elle est entourée de deux larges banquettes en cuir rouge vif, un clin d'œil aux bistrots d'antan. Le cuir, bien qu'un peu usé par endroits, brille encore sous la lumière tamisée des suspensions modernes qui pendent au-dessus de chaque table, projetant une lueur chaleureuse et accueillante. Je soupçonne parfois Jeanne, la patronne, de dégager subtilement les rares clients qui osent s'y installer avant nous.
Son bar est un curieux mélange de styles : les murs de pierre apparente, vestiges de l'ancien bâtiment, se mélangent avec les étagères en métal noir où sont alignées les bouteilles de liqueurs, et les néons discrets qui encadrent le comptoir en bois massif.
Dès que j'entre, une bouffée d'air chaud m'enveloppe, portée par l'odeur familière du bois ciré qui recouvre le sol. Tout le stress de la journée s'évanouit peu à peu. Ici, le monde extérieur semble se suspendre, laissant place à une atmosphère de calme et de réconfort. Un sourire se dessine malgré moi ; c'est notre refuge, le lieu où je peux enfin relâcher la pression.
— Un peu plus et je buvais la tienne, me lance Antoine en se levant pour me serrer dans ses bras.
C'est le seul ami que j'ai gardé après mes études en communication. Le seul avec qui j'aime passer du temps et qui réussit à me sortir de ma grotte. Nos vies ont pris des chemins différents, pourtant il est toujours présent. Sa femme tient la librairie au coin de la rue. Ils ont accueilli depuis peu une magnifique Jade, qui fait d'eux des parents comblés et de moi un parrain heureux.
Après avoir échangé les banalités habituelles sur nos familles respectives et vidé chacun notre bière, nous commandons une nouvelle tournée.
— Léa t'as donné la permission de quelle heure ? Lui lancé-je avec un sourire en coin.
— Arrête, tu sais bien que ma femme n'est pas du genre à me tenir la jambe pour me garder enfermé avec elle. Elle a prévu de se faire une soirée scrapbooking une fois la petite endormie. Elle s'est mis en tête de préparer un album photo pour retracer les premiers moments de vie de Jade.
— Depuis sa conception ou juste depuis sa naissance ?
Antoine éclate de rire, à tel point qu'il en fait presque sortir de la bière par le nez.
— T'es con, j'ai failli m'étouffer ! Depuis la première échographie. Je ne peux pas lui en vouloir, on a tellement galéré pour l'avoir parmi nous.
Je ne suis pas un expert en ce qui concerne les problèmes de fertilité, mais je sais que Léa a mis deux ans avant de tomber enceinte. Une endométriose lui avait été diagnostiquée quelques années plus tôt. Bien que cela ne la rende pas stérile, ça complique sérieusement les chances de conception. Le stress et la fatigue des essais infructueux n'avaient pas aidé, mais c'est un couple solide qui a su surmonter les épreuves. Juste au moment où ils envisageaient de recourir à la fécondation in vitro, le miracle s'est produit.
— Et toi alors ?
— C'est pas mon truc, le scrapbooking. J'aurais trop peur d'y laisser un doigt.
— Non, je veux dire, toujours personne en vue ? Demande-t-il avec un sourire malicieux, dévoilant ses dents d'une blancheur impeccable.
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Les roses du destin [Terminée, En Réécriture]
RomanceGabrielle, fraîchement célibataire après une rupture difficile avec Olivier, décide de tout quitter pour repartir à zéro. Elle choisit de s'éloigner de sa famille et de ses amis pour s'installer dans une nouvelle ville, avec l'espoir de reconstruire...