Chapitre 18 : Mio

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J'observe Gabrielle quitter mon bureau après notre discussion intense. Un vide s'installe immédiatement, comme si l'air même s'était raréfié à son départ. Cette femme me donne des ailes, me pousse à me surpasser. Elle n'en a pas conscience, absorbée par les démons qui la tiraillent de l'intérieur. Et pourtant, quelque chose en elle éclaire ma route. Elle est ce phare discret, cette force silencieuse, et j'aimerais pouvoir la protéger de tout, comme elle m'a inconsciemment protégé. J'aimerais être un bouclier pour elle, comme elle a pu l'être pour moi à ce moment-là. Son parfum léger, une touche de jasmin, flotte encore dans l'air, et me rappelle sa présence apaisante.

Ma pause déjeuner est quasiment terminée, mais je m'autorise du temps supplémentaire pour dévorer le panini que j'avais négligé sur un coin de table dans la salle de pause. Il est froid, le pain a absorbé la sauce et mon estomac est trop noué pour pouvoir l'apprécier. Pourtant, je m'efforce de mordre dedans, sans y trouver aucun plaisir. La sauce a imbibé le pain, et la saveur autrefois appétissante s'est effacée avec le temps et mes préoccupations.
Je fixe la rue animée par la fenêtre. Les passants, absorbés par leurs vies, ignorent tout des enjeux qui se jouent ici. Gabrielle, Renée, ces propriétaires que je connais presque par cœur... leurs espoirs, leurs peurs. Chaque vente, chaque transaction est pour eux un tournant décisif. Et moi, j'ai l'impression de tenir entre mes mains un fil trop fragile, prêt à rompre.

Bien qu'un poids ce soit allégé sur mes épaules, le travail que je dois affronter ces prochains jours pour satisfaire tout le monde m'effraie. Je déteste les conflits, je préfère rester loin d'eux et mettre de l'eau dans le vin de tout le monde pour calmer les esprits. L'idée de devoir gérer les mécontentements et les attentes contradictoires me donne des sueurs froides.

Après avoir bu un énième café serré, je prends mon combiné et compose le numéro de Monsieur Monrod. Il gère plusieurs agences dans plusieurs villes de France. Je suis persuadée qu'il travaille même le dimanche depuis chez lui. C'est un bourreau de travail qui n'hésite pas à se déplacer dans chaque agence qui rencontre une situation délicate. A cet instant précis, j'ai besoin de lui expliquer ce qu'il en est réellement du projet, des craintes qu'elles soulèvent chez les propriétaires, des enjeux qu'il entraîne.

— Mio ! Un appel de votre part un samedi ? Arrêtez-moi si je me trompe, mais cela n'augure rien de bon.

Sa voix grave résonne dans le combiné. Au ton qu'il emploie toujours, on ne peut qu'imaginer le large sourire qui s'étire sur ses lèvres. J'ai eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises. A des réunions régionales ou départementales. C'est un homme qui en impose, de part sa carrure mais surtout par son charisme. Il est toujours en costume impeccable avec une cravate de couleur qui lui donne un côté sympathique. Ce n'est pas un patron tyrannique, mais il sait ce qui est bon ou non pour les affaires. Il dirige ses équipes d'une main de fer tout en maintenant une ambiance chaleureuse dans ses agences.

La nôtre est située dans une petite ville d'environs 3 500 habitants. Les villages aux alentours n'en comptent pour la plupart pas plus de 300. Aucune grande université ou collège de renom dans notre coin. Nous louons ou vendons à des personnes qui veulent s'y installer dans la durée, pour construire un bout de leur avenir ou se reconstruire, comme Gabrielle. Chaque vente ici n'est pas simplement une transaction, mais souvent un nouveau départ pour des familles entières.

Laura et moi travaillons ensemble depuis que je suis arrivée. Après ma rupture avec Addison, j'ai voulu me rapprocher de ma famille. Je ne voulais plus me perdre dans une fourmilière géante, mais avoir des repères, mes repères, ceux que j'avais construits jusqu'à mon déménagement pour suivre Addison dans ses études. Ma collègue a été un soutien inestimable. Elle m'a guidé à travers les méandres de l'agence et m'a présenté à la communauté locale.

Les roses du destin [Terminée, En Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant