Chapitre 16 : Mio

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Accoudé au comptoir de chez Jeanne, j'attends patiemment mon panini. Cette semaine, elle nous fait voyager en Italie : pain ciabatta, poulet grillé, pesto rosso et mozzarella fondante. C'est la troisième fois cette semaine que je le prends, incapable de m'en lasser. À chaque bouchée, je m'éloigne un peu plus loin de la grisaille du quotidien, transporté ailleurs, même si ce n'est que pour quelques instants.

— Inutile de te demander si cette recette te plait.

Elle dépose devant moi le précieux sésame, soigneusement emballé dans un papier blanc. Les odeurs de poulet grillé et de basilic montent à mes narines et font gronder un peu plus mon estomac. C'est une sensation rassurante, presque réconfortante, que de venir ici. Jeanne veille sur ses clients comme une mère sur ses enfants, et ça fait du bien, surtout dans les moments comme celui-ci où tout semble déraper.

— J'aimerais que mon mari me regarde comme tu regardes ce panini, plaisante-t-elle en prenant ma carte pour m'encaisser.

Je souris, un peu gêné.

— Comme un plat que l'on va dévorer ? Jeanne, quand même, tu vaux mieux que ça !

Elle pique un phare derrière la caisse, visiblement consciente des mots qui viennent de sortir de sa bouche. Je ris doucement pour détendre l'atmosphère.

— Tu fais beaucoup parler mes clients depuis ce matin, reprend-elle en passant ma carte dans le lecteur.

Je fronce les sourcils.

— Comment ça ?

— L'article dans le journal, la vente des maisons, le projet de la mairie, tout ça.

Mon sang ne fait qu'un tour, mon cœur menace de sortir de ma poitrine.

— Quel article ?

Ma question sort dans un murmure à peine audible, comme si la simple mention de ce mot faisait dérailler tout mon univers. Jeanne, sensible à mon trouble, passe derrière le comptoir et attrape un journal froissé sur une des tables en bois. Elle me le tend avec douceur, et pose une main sur mon épaule. Je sens la chaleur de ses doigts à travers ma veste, mais cela ne suffit pas à apaiser le nœud qui s'est formé dans mon estomac.

Mes mains tremblent légèrement alors que je prends le journal, et le papier glisse presque de mes doigts moites. En première page, une photo de moi, sourire crispé figé en noir et blanc, attire aussitôt mon attention. Je croise mon propre regard, et une vague de malaise m'envahit. Cette photo date de mon arrivée à l'agence immobilière, il y a trois ans, au moment où j'avais décidé de prendre un nouveau départ, de me rapprocher de ma famille. C'était censé être un moment de renouveau, un tournant, et me voilà maintenant en première page pour tout autre chose.

Le titre en lettres grasses claque comme un coup de fouet : « Nouveau projet immobilier : un village sous la menace ». Les lignes qui suivent détaillent le projet de rénovation dans sa totalité, et cite même ce que j'ai énuméré aux habitants.

Je me sens pris au piège. L'air devient plus lourd autour de moi. Jeanne m'observe en silence, sa main toujours posée sur mon épaule comme si elle sentait que j'étais sur le point de m'effondrer.

— Dans quoi tu t'es embarqué Mio ?

Le couperet est tombé, froid et implacable. La nouvelle s'est répandue bien plus vite que je ne l'avais anticipé. Une vague d'angoisse me submerge, une boule de plomb s'installe dans mon estomac. Pourquoi n'ai-je pas prévu cela ? Je savais que mon temps était compté, Gabrielle est un vrai rayon de soleil, elle a toujours une parole attentionnée pour les habitants du village. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne l'apprenne. Mais la presse n'aurait jamais dû s'en mêler.

Les roses du destin [Terminée, En Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant