Chapitre 29 : Gabrielle et Mio

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Gabrielle

C'est le jour du déménagement. Je me lève à l'aube pour aller chercher des viennoiseries encore chaudes à la boulangerie. L'odeur du pain frais embaume l'air, et je me laisse bercer par le doux bruit de la ville qui s'éveille.

Aurore est arrivée hier après-midi à la gare. Nos retrouvailles ont été bruyantes et festives. Nous avons fait un tour rapide de la ville avant de prendre le bus direction la dépendance de Renée. Solange nous a accueilli avec un grand sourire, contente de pouvoir mettre un visage sur un nom qu'elle a entendu maintes fois au cours de mes trajets. À notre arrivée, un bazar organisé nous attendait, les cartons envahissent mon cocon, du sol au plafond. À peine le temps de prendre une douche, nous sommes allées manger un panini chez Jeanne.

Nous y avons retrouvé Mio et Antoine, attablés à leur table préférée et en grande conversation. Le premier contact a été naturel et fluide. Ma meilleure amie a cuisiné Mio tout du long pour s'assurer qu'il était à ma hauteur. Je la soupçonne également de l'avoir intimidé lorsque je me suis éclipsée pour aller aux WC. La soirée s'est étirée jusqu'à la fermeture du bar, et, après plusieurs cocktails et pintes de bières, nous nous sommes jurés, comme de vieux amis, de nous revoir très vite, cette fois-ci avec Jade et Lylia.

Ce matin, nous avons prévu de prendre le petit déjeuner avec Renée, avant la venue des camions de déménagement. Mes mains se serrent davantage autour du paquet contenant les croissants et pains au chocolat. Pour la dernière fois, je vais profiter de l'ombre du saule pleureur, ce vieil arbre témoin de tant de souvenirs, et déguster une tasse de thé dans ce jardin que ma grand-mère a tant chéri. Les souvenirs m'assaillent, les rires partagés et les secrets murmurés entre ces murs. Mais la réalité me frappe : ce changement est plus brutal pour elle que pour moi. Après la perte de sa fille et de son mari, les souvenirs de moments heureux sont tout ce qui lui reste. Déménager, c'est laisser une partie de sa vie derrière elle. À moi de l'aider à avancer dans sa vie, dans sa nouvelle maison. Nous allons construire ensemble la suite de notre histoire. Je suis la seule famille qui lui reste, et je ferai tout pour que ce nouveau chapitre soit plus beau que celui qui a régi sa vie ces dix dernières années.

— Ça fait du bien de se laisser aller de temps en temps.

Aurore est allongée sur le canapé moelleux du salon, ses cheveux blonds ondulés encadrent son visage, qui contrairement au mien, ne porte aucune marque de fatigue. Grande, mince, avec un visage fin et sans imperfections, Aurore est pour moi un symbole de perfection. Sa voie rauque et son franc parlé lui donne une assurance que je rêverais d'avoir. Elle s'est lancée à son compte il y a de ça trois ans. Elle est décoratrice intérieure de métier, mais s'est très vite spécialisé dans l'évènementiel. Et je dois avouer qu'elle est sacrément douée. Le bouche-à-oreille à fait l'effet d'une boule de neige, et aujourd'hui, elle organise des événements un peu partout en France.

— Je ne t'avais pas vu faire la fête comme ça depuis la fin de nos études. Qu'avez-vous fait à Aurore Chavigny pour qu'elle profite autant de la vie ?

Elle me lance un des coussins du canapé avant de se redresser.

— J'ai décidé de lever un peu le pied. Je m'éclate dans mon boulot mais...

Son expression devient soudainement plus sérieuse. Je m'assois à ses côtés, jamais je n'ai vu ma meilleure amie aussi grave.

— J'ai besoin d'avancer dans ma vie personnelle. De rencontrer quelqu'un, de me poser. Je ne vis que pour les évènements que j'organise. Je me plie en quatre pour chacun de mes clients, réalise tous leurs souhaits. Je me suis lancée à corps perdu pour que ça fonctionne, et je me suis oubliée.

— Aurore, je suis désolée de ne pas l'avoir vu plus tôt.

Elle se tourne vers, les yeux débordant de larmes. Mon cœur se brise à cette vue. Mon pilier, mon roc, celle qui est à mes yeux, invulnérable, vient de briser sa carapace devant moi. Et je m'en veux. Je m'en veux de ne pas avoir creusé plus loin quand elle me disait être fatiguée. De ne pas avoir compris qu'elle souffrait en silence. Pour moi, sa vie était un enchaînement de succès.

Les roses du destin [Terminée, En Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant