Rites et Réveil

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Kieran se sentait flotter, détaché de son propre corps, comme s'il n'était plus tout à fait là. La douleur qui avait déchiré ses sens pendant le rituel s'était muée en une fièvre oppressante, une chaleur qui pulsait sous sa peau, lui donnant l'impression que son corps était en feu, malgré le froid mordant qui l'entourait. Il sentait à peine qu'on le portait, ses bras et ses jambes pendants, inconscients de la fermeté des mains qui le soutenaient. Son esprit, embrouillé par la souffrance et la fatigue, peinait à se raccrocher à la réalité.

Un sifflement perçait le silence de sa tête. Était-ce réel ? Était-ce dans ses oreilles, ou seulement dans son esprit ? Tout lui semblait flou, incertain. Les sons avaient été arrachés de son existence, mais ce bourdonnement persistait, insidieux, comme un écho lointain d'un monde auquel il n'appartenait plus.

Il sentit un changement dans l'air autour de lui, plus frais, plus humide. Ils quittaient la grotte, il le savait. Le froid des caves le saisit brusquement, un choc contre sa peau brûlante, mais il n'avait même plus la force de frissonner. Sa conscience, vacillante, tentait de comprendre ce qui se passait. Il aurait voulu croire, dans un coin reculé de son esprit, que son père avait enfin décidé de lui pardonner pour ce qu'il avait fait à Lorcan et Aodhan. Peut-être était-ce cela, cette douce chaleur qu'il percevait à travers le brouillard de sa fièvre ? Le pardon. La réconciliation.

Mais quelque chose en lui savait que ce n'était pas le cas. Les souvenirs du rituel revenaient par vagues, terrifiants et écrasants, effaçant tout espoir. Il se rappelait la douleur, la brûlure des sceaux sur sa langue, ses oreilles, ses paupières. Cette souffrance indicible qui l'avait plongé dans l'obscurité totale, dans le silence absolu. Il savait que ce n'était pas un rêve, ni une simple punition. C'était bien plus que cela.

Après ce qui lui parut une éternité, il sentit enfin quelque chose de différent sous lui. Un matelas, doux et moelleux. Le contact des draps chauds et soyeux contre sa peau était presque irréel, un contraste saisissant avec la froideur implacable du menhir sur lequel il avait été allongé. Il était dans un lit, un vrai lit. Loin de la dureté de la pierre, loin du froid mordant des caves.

La chaleur qui l'entourait apaisa brièvement sa fièvre, enveloppant son corps meurtri dans une douceur qu'il n'avait plus connue depuis des années. Les draps étaient soyeux, délicats, comme une caresse sur sa peau écorchée. Ce lit... c'était mieux que sa première chambre, mieux que tout ce qu'il avait connu avant son enfermement. Était-ce une récompense ? Un répit après la torture ? Ou était-ce simplement un autre aspect du rituel, une préparation pour ce qui allait suivre ?

Kieran se recroquevilla légèrement, cherchant à se fondre dans cette chaleur réconfortante, à s'y accrocher comme à une bouée dans l'océan de souffrance qu'était devenue sa vie. Il tenta d'ignorer le sifflement dans sa tête, de ne pas penser à l'obscurité qui l'entourait, au silence écrasant qui remplissait chaque recoin de son esprit. Il voulait juste dormir, se laisser emporter par le sommeil, et oublier, ne serait-ce que pour un moment, l'horreur de ce qu'il venait de vivre.

Mais même dans cette chaleur, il sentait les cicatrices laissées par les sceaux, brûlantes et douloureuses, lui rappelant que le répit serait de courte durée. Les ténèbres, le silence, l'isolement... tout cela était désormais son monde. Et même ce lit, aussi réconfortant soit-il, ne pouvait l'en protéger.

Kieran n'avait plus la force de pleurer. Ses larmes, déjà versées, semblaient s'être taries, laissant à la place un vide profond et douloureux. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était se blottir dans cette chaleur temporaire, espérant que, peut-être, dans le sommeil, il trouverait un peu de paix, un peu de répit, avant que la réalité ne le rattrape à nouveau.

Athelstan referma la porte de la chambre dans un silence solennel, son visage impassible trahissant à peine l'intensité de ses pensées. Derrière lui, Tiernan et Eamon se tenaient droits, encore secoués par les événements récents, mais déterminés à obéir aux ordres de leur père. Le silence pesant du couloir fut brièvement troublé par un léger craquement venant de l'escalier. Lorcan et Aodhan, curieux et téméraires, avaient quitté leurs chambres pour espionner depuis la dernière marche, leur regard pétillant d'une curiosité malsaine. Plus discrets, Riordan et Faelan avaient préféré rester à l'abri des regards, collant leurs oreilles contre les portes de leurs chambres respectives pour ne rien manquer de ce qui se disait.

MauditOù les histoires vivent. Découvrez maintenant