Le Sacrifice du Septième Fils

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Kieran se réveilla dans l'obscurité totale de sa chambre, comme il l'avait fait chaque jour depuis plus de deux ans. Les ténèbres n'étaient plus pour lui une source d'effroi, mais une compagne silencieuse, omniprésente, qui avait fini par devenir familière. Il n'avait plus besoin de lumière pour s'orienter. Il connaissait chaque pierre, chaque aspérité du mur, chaque angle de cette petite pièce qui était devenue son monde. Il savait exactement où se trouvait son lit, ce simple matelas posé à même le sol, usé et déformé par le temps, à quel point la couverture était insuffisante pour repousser le froid, et où son petit pot de chambre se trouvait, toujours à la même place.

Il y avait des jours, cependant, où il ressentait le besoin de se lever, de marcher, de toucher les murs pour se rappeler qu'il était encore là, qu'il existait toujours. Aujourd'hui était l'un de ces jours. Il tendit les mains devant lui, laissant ses doigts frôler les pierres rugueuses. Sous ses doigts, il retrouva les marques gravées dans la pierre, ces dessins qu'il avait découverts un matin d'ennui. Au fil des mois, il avait appris à les connaître, à en suivre les contours. Des formes, des figures étranges, et parfois même des lettres. Il ne pouvait les voir, mais il les imaginait clairement dans son esprit, inventant des histoires autour de ces mystérieuses gravures.

Il se racontait que ces dessins étaient des messages laissés par un autre enfant, peut-être un autre Nott, enfermé ici comme lui. Parfois, il aimait penser que cet enfant avait trouvé un moyen de s'échapper, qu'il avait laissé ces marques comme des indices pour montrer le chemin vers la liberté. Mais le plus souvent, il imaginait que ces dessins étaient des sortes de talismans, des symboles de protection gravés pour apaiser les esprits ou éloigner les ombres qui peuplaient cette sombre prison. C'étaient là ses seules compagnies dans ce monde de solitude et de silence.

Mais ce matin-là, les dessins ne suffisaient pas à apaiser son esprit. Quelque chose d'invisible pesait dans l'air, comme une tension qu'il n'arrivait pas à définir. Il n'entendait rien d'autre que le silence, mais ce silence même semblait plus lourd, plus oppressant que d'habitude. Kieran s'assit sur son lit, repliant ses genoux contre sa poitrine, essayant de réchauffer son corps maigre et frissonnant.

Il savait que son père viendrait bientôt. Tous les matins, sans faute, Athelstan descendait dans les sous-sols pour réveiller Kieran. Le rituel était toujours le même : il le tirait du lit sans douceur, lui ordonnait de se laver dans une bassine d'eau froide, et ne disait pas un mot de plus. Kieran avait arrêté de supplier, de demander pardon pour ce qu'il avait fait à Lorcan et Aodhan. Cela n'avait jamais changé quoi que ce soit. Il subissait en silence, ses mots étouffés par la peur et la résignation.

Il entendit alors le bruit métallique de la clé qui tournait dans la serrure. Le grincement de la porte en fonte le fit sursauter, malgré les centaines de fois où il l'avait déjà entendu. La lumière de la lampe à huile que portait Athelstan envahit la pièce, cruelle pour ses yeux habitués à l'obscurité. Kieran se recroquevilla un peu plus, se préparant mentalement à la froide routine de la journée.

Athelstan entra sans un mot, posant la lampe sur une étagère vide. Il s'approcha de Kieran, attrapa son bras avec une fermeté qui ne laissait aucune place à la résistance, et le tira hors du lit. Le garçon chancela légèrement, ses jambes encore engourdies par le froid et le sommeil. Il se laissa conduire jusqu'à la bassine en fonte, remplie d'une eau glaciale qui n'avait jamais le temps de s'adoucir.

Sans un mot, Athelstan le regarda se laver sommairement, comme un père lavant un objet précieux, mais sans la moindre trace de chaleur ou de tendresse. Une fois la tâche accomplie, Athelstan agita sa baguette pour nettoyer le pot de chambre, une action mécanique, dénuée de toute considération pour son fils.

Lorsque le rituel matinal fut terminé, Athelstan se redressa, replaça sa baguette à sa ceinture et jeta un bref coup d'œil à Kieran. Ses yeux étaient vides de toute émotion. Pour lui, Kieran n'était qu'un moyen, un instrument pour un but plus grand, celui de restaurer la grandeur des Nott.

MauditOù les histoires vivent. Découvrez maintenant