Chapitre 41

7 2 0
                                    

« Ne devriez-vous pas être en train de tenir compagnie à la Princesse ? demanda Neven au bout d’un moment alors que les domestiques venaient d’emporter les affaires des trois hommes vers les écuries.

– Pas pour le moment, elle est occupée auprès de Liorah pour les préparatifs de Kupala. C’est d’ailleurs vraiment dommage que vous la manquiez. Les festivités de la Nuit de Kupala sont grandioses – surtout à la capitale. Beaucoup feront le voyage pour y assister ici, la ville sera bientôt saturée de monde ».

Les domestiques ayant fini de vider la pièce, les deux jeunes gens leur emboitèrent le pas et prirent le chemin de la cour principale où Adham et Caladrius attendaient déjà.

« La Nuit de Kupala est l’une des célébrations les plus populaires de notre pays. Elle marque le solstice d’été et est imprégnée de traditions anciennes symbolisant l’amour et le renouveau ».

Comme le prince l’écoutait attentivement, visiblement intéressé par ses explications, Erryn poursuivit.

« Durant cette nuit, des personnes de tous les coins du royaume vont se réunir au bord des points d’eau pour y allumer des lanternes et des feux de joie. Ils vont danser et chanter des chants pour honorer la vie et la fertilité rendues possibles grâce aux dons du Téjas jusqu’au moment où sera venu le temps du Saut. Les jeunes couples les plus courageux devront sauter au-dessus des flammes afin de mettre leur amour à l’épreuve. S’ils réussissent à franchir le feu sans tomber ou se lâcher la main, alors leur amour brûlera une année supplémentaire.

– Cela doit en effet être une nuit magnifique.

– Beaucoup l’attendent avec impatience, acquiesça Erryn. Les jeunes filles préparent leurs robes des mois à l’avance et les garçons sont déjà en quête des plus belles fleurs pour les couronnes qu’ils doivent offrir à l’élue de leur cœur. À minuit, les jeunes célibataires vont s’en aller chercher des fleurs de fougères dans la forêt. La légende dit qu’elles ne fleurissent que cette nuit-là. Les femmes partent à leur recherche les premières et les hommes les rejoignent quelques instants plus tard. Bien évidemment, personne n’a jamais trouvé de fleurs de fougères, mais quand un garçon rencontre la femme qu’il aime dans la forêt, il lui offre la couronne qu’il a fabriquée. Si quelqu’un ne trouve personne à aimer, il peut déposer la couronne sur la rivière avec une bougie, c’est le signe que quelqu’un peut la découvrir et revenir l’année suivante pour échanger les fleurs séchées contre de nouvelles.

– J’aime la façon dont vous parlez de vos coutumes, je peux voir l’amour que vous portez à votre pays malgré ce que vous avez enduré. Cela doit être réellement dur de voir la tournure que prennent les évènements.

– Ça l’est. Je regrette qu’un homme bon ne soit monté sur le trône. Mais le mal est fait. Tout ce qu’il est à présent possible de faire et d’en empêcher un plus grand de s’installer ».

Ils marchèrent encore quelques instants en silence avant que Neven ne reprenne la parole, redirigeant la discussion sur un sujet plus léger.

« En Avel aussi, nous avons une fête à la période du solstice d’été : Solwend. Nous la célébrons le jour de l’année le plus long depuis Sirius, en hommage au soleil et au vent qui symbolisent le souffle de la vie ainsi que la lumière qui vaincu l’obscurité. Dans toutes les villes, nous allumerons des lanternes que nous lâcherons dans le ciel à la nuit tombée. Il y aura des spectacles aériens et nous chanterons et danserons jusqu’à ce que l’orage gronde et que la pluie tombe. C’est de loin le meilleur moment de l’année ».

Erryn observa le prince tandis qu’il cherchait ses mots, le regard perdu dans ses souvenirs.

« Lorsque l’orage se forme, dit-il, et que le tonnerre fend les cieux au-dessus de moi je me sens plus vivant que jamais. Généralement, je m'éclipse dès que possible pour profiter du spectacle depuis la plus haute tour du palais, car c’est là que je me sens le mieux. C’est une incroyable sensation que de se sentir relié à cette force, infiniment plus grande que moi. C’est comme si la fureur et le chaos des sphères supérieures se mélangeaient à la tranquillité et à la plénitude du Waju. En tant que fils d’Avel, nous ne sommes pas que de simples spectateurs, nous puisons notre force directement de ces tempêtes. Mon propre pouvoir est le reflet de ce lien durable entre le Waju et les Hommes. Un souffle porté par une brise légère ou un coup de vent capable de déraciner un arbre est, à mes oreilles, l'écho distinct de mes ancêtres. Le feu et la terre dépérissent, l’eau se tarie, mais l’air ne meurt jamais. Il subsiste, se renouvelle. C’est ce lien qui nous permet de commander, non seulement des rafales puissantes, mais aussi de manipuler les courants assez subtilement pour ne faire qu’un avec eux ».

Un frisson serpenta le long de la nuque de la jeune femme. Ce n’était pas une sensation désagréable comme lorsqu’elle avait été découverte à l’auberge. Non, cette fois-ci il s’agissait d’un frisson de joie, peut-être mêlé à de l’électricité statique, car l’enthousiasme du prince était si communicatif qu’elle avait l’impression que des étincelles lui courraient dans les veines. Elle sourit en glissant un regard en coin vers le jeune homme qui le lui rendit aussitôt.

Ils arrivèrent enfin aux écuries où Adham et Caladrius attendaient déjà avec impatience. Leurs magnifiques montures, déjà toutes arnachées, piaffaient légèrement, probablement à cause de l'excitation due à l'activité autour d'eux.

Neven lui fit une courte révérence avant de sauter sur le dos de son cheval avec aisance, sa cape flottant dans l'air. Erryn lui répondit avec un sourire triste qui ne parvenait pas à cacher son inquiétude croissante tandis qu’Adham et Caladrius se mettaient à leur tour en selle.

« Nous vous reverrons, Erryn », promit Neven, la sincérité se lisait dans son regard intense. « Et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour aider votre pays ».

Erryn acquiesça silencieusement, reconnaissant l’honnêteté dans ses intentions, mais la peur lui glaçait pourtant dans le creux de l’estomac, tourbillonnante et insatiable. Que se passerait-il si, malgré toute leur bonne volonté, ils ne pouvaient pas l'aider ? Et si les secrets de Thérik condamnaient sa nation à l'exil, à la souffrance, ou pire encore, à la ruine ?

Pendant qu'elle les regardait s'éloigner, un souffle de vent passa, arrachant à sa tresse quelques mèches de cheveux. La jeune femme leva les yeux au ciel, seulement pour apercevoir un vol d'oiseaux qui s’en allaient dans la même direction que les trois avelíns. Un triste sourire se dessina sur ses lèvres. Peut-être, se dit-elle, s'agissait-il là d'un bon présage.

Dans l'ombre des flammesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant