Ophélia
Comment a-t-il pu ?
Un bruit dans l'obscurité me fait sursauter. Je relève le menton de mes genoux repliés contre ma poitrine et tente de percer les secrets de la nuit, les sourcils froncés. Ma vue s'adapte tant bien que mal à cet univers de ténèbres, mais je ne vois rien.
Je soupire en songeant que je n'aurais pas dû boire autant, que je n'aurais pas dû baisser ma garde, que je n'aurais pas dû oublier...
Il y a tellement de regret et de noirceur en moi que tout énumérer ne servirait à rien.
— Ophélia ? m'interpelle une voix masculine qui couvre mon corps de frissons.
Ce timbre de voix, cet accent grec chantant... Léo...
Ma bouche reste close, et seul mon souffle peut prouver ma présence à une oreille attentive.
— Je sais que tu es là.
En réponse, je cale à nouveau mon visage contre mes genoux. Je me fiche de ce qu'il sait.
— Audrey est inquiète, continue-t-il pour m'amadouer.
Audrey est une personne bien, donc évidemment qu'elle est inquiète. Mais maintenant qu'elle est au courant de qui je suis, elle ne sera plus mon amie. Elle dira certainement le contraire au début, car elle n'a pas à cœur d'être mauvaise, mais elle finira par me laisser. Je deviendrai pour elle aussi une œuvre caritative.
— Tu lui as dit pour la Saint-Sylvestre ? je demande, la rage au bord des lèvres.
Silence.
Les larmes que je croyais taries se remettent à couler. Elles inondent mon visage dont l'air frais de la nuit tire les traits.
— Là aussi, tu as arrangé ce souvenir à ton avantage ? Laisse-moi deviner, pour ça aussi je t'ai fait pitié, car je n'avais rien ni personne et que je ne suis qu'une gamine ?
Il ne répond pas.
— Dis-moi Léo, ça fait de toi quel genre de personne d'acheter la virginité d'une fille à peine majeure en échange de cinq mille euros ?
Mes poings se ferment. La pluie s'invite dans notre conversation, mais je l'ignore. Ma colère est plus forte que les éléments extérieurs.
— Ce soir-là, je ne t'ai rien demandé. C'est toi qui m'as invitée dans ta suite. C'est toi qui m'as demandé de rester le lendemain parce que tu ne voulais pas être seul. Et c'est encore toi qui as choisi de me laisser cet argent quand tu as décampé pendant que je dormais, je termine en me levant.
Je fais les pas qui me séparent de la voix et me positionne devant un torse à moitié caché par la pénombre.
— Alors quel genre de personne es-tu, Léo ?
Je reste droite et attends durant ce qui me semble être une éternité.
— Quelqu'un de perdu, Ophélia, me murmure-t-il, la voix enrouée.
— La souffrance n'est pas une excuse à tout.
J'ai craché ces mots, furieuse après lui. Furieuse après moi. Il ne dit rien.
— Tu devrais te faire soigner, je lâche avant de le bousculer d'un coup d'épaule au moment de le doubler.
Il ne bouge pas, ne me rattrape pas et je l'en remercie mentalement. Je n'aurais pas eu la force de l'affronter une nouvelle fois.
Je resserre mes bras autour de moi et rentre à pied jusqu'à l'appartement. Le froid me gagne jusqu'à l'os. Mes pieds me font mal et la pluie se mélange à mes larmes silencieuses. Mais finalement, rien de tout ça n'a d'importance. Ce qui importe dans le fond, c'est la conversation que je vais devoir avoir avec mon amie, ou encore mon avenir qui semble s'être assombri le temps d'une journée.
J'aurais aimé que les mots ou les actes de Léo n'aient aucun poids sur moi, mais ils en ont. Personne ne devrait avoir le pouvoir de réduire en cendres la vie d'un autre. Personne ne devrait avoir ce pouvoir sur moi.
J'essuie rageusement mon nez morveux et regarde l'immeuble que je partage avec Audrey d'un air résigné. Après tout, combien de fois ai-je connu le rejet ? Ce ne sera pas la première et probablement pas la dernière fois. Je carre mes épaules et lève mon menton, prête à affronter le monde.
Une fois à l'intérieur de l'appartement, je m'attends à trouver mes affaires dans l'entrée, mais ne vois qu'une Audrey décoiffée et le visage rouge.
— Putain ! Tu étais où ? J'étais à deux doigts d'appeler les flics ! s'écrie-t-elle avant de se ruer sur moi.
Je me fige quand elle me serre contre elle.
— Je suis désolée, je murmure sans bouger, les bras le long du corps.
Elle s'écarte, me regarde sous toutes les coutures, comme pour vérifier que je ne suis pas blessée, et soupire avant de se mettre à crier :
— Non, mais quel CONNARD ! Bon sang, mais c'est quoi son problème avec toi ?
Je l'observe, interdite, faire les cent pas dans notre petit appartement tout en jurant d'abord de faire enfermer Léo pour finir par la volonté qu'il soit décapité. Ou castré. Ce n'est pas très clair...
— J'ai envoyé un message à son abruti de frère pour l'avertir que s'il s'approche à nouveau de toi, ou même s'il te regarde de travers, je lui enlève les couilles avec les dents !
Donc castré !
— Audrey, je suis désolée de ne pas avoir été honnête avec toi sur ma situation, je souffle quand elle se met à râler toute seule dans un coin.
Elle me scrute avec une grimace.
— Comment ça ?
Mal à l'aise, je poursuis :
— Je n'ai pas... enfin, ma situation financière... si tu veux que je parte, je partirai.
— Ophélia, ce n'est pas un secret que tu travailles pour vivre ! Sinon, je ne vois pas pourquoi tu te lèverais tous les matins aussi tôt !
— Certes. Mais, je n'ai pas de famille ou autre donc...
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase qu'Audrey me serre à nouveau dans ses bras.
— Ophélia, tu es la personne la plus incroyablement courageuse que je connaisse. Et intelligente, aussi. Ne laisse jamais personne te faire douter de qui tu es.
Je ne dis rien. Audrey est gentille, mais elle ne sait pas, contrairement à moi, que même les personnes dotées des meilleures intentions du monde ne tiennent pas leurs promesses. Aujourd'hui, elle se fiche que je ne sois qu'une orpheline sans le sou, mais demain, que fera-t-elle quand je ne pourrai pas payer le loyer ?
Je m'écarte d'elle et la remercie doucement avant d'aller me coucher. Le poids de son regard écrase mes épaules alors que je pénètre dans ma chambre. Je retire la robe mouillée qu'elle m'a prêtée et enfile mon pyjama, hantée par un lendemain dont j'ignore tout. J'en viens même à me demander si je ne devrais pas partir avant qu'elle ne me le demande. Après tout, ce sera peut-être plus facile si je pars de moi-même...
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My Mad King
RomanceQuand Ophélia rencontre Léo par une belle soirée étoilée leurs mondes s'entrechoquent. Elle n'a rien. Il a tout. Elle vit pour un futur meilleur. Il est perdu dans un passé destructeur. Lorsqu'ils se retrouvent à l'université six mois plus tard, Op...