Chapitre 7 - Les rêves ont un prix

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Ophélia


Je regarde les sandwichs avec une grimace et soupire.

— Pourquoi il ne reste toujours que ceux au thon ?

— Parce que personne ne les aime ! me rétorque l'un des serveurs avant de détaler à son poste.

Je me fais une raison et emballe le sandwich à l'aspect peu ragoûtant dans une serviette en papier avant de le ranger soigneusement contre mes classeurs. Ce serait dommage qu'en plus d'être mauvais, il soit ratatiné !

Je ne suis pas en position de me plaindre puisqu'ils sont gratuits, mais je ne peux m'empêcher de me dire qu'il n'y a bien que des Anglais pour manger du thon au petit-déjeuner. Je me répète une nouvelle fois que c'est gratuit et prends la direction de l'université en courant presque. Je n'ai ni les moyens ni l'opportunité de faire ma difficile. Et encore moins le temps !

J'ai l'impression de passer mon temps à courir. Après réflexion, ce n'est pas une impression, c'est la réalité. Les rêves ont un prix, et le mien, c'est de muscler mes mollets en courant d'un coin à l'autre de Londres dans un emploi du temps qui laisse peu de place à l'inattendu. Et les sandwichs au thon !

Je me précipite dans le métro et souffle une fois que j'ai réussi à m'y faufiler à travers la foule matinale.

Le 1er janvier, je suis arrivée le cœur en vrac et l'esprit perdu à l'aéroport d'Athènes. J'avais le choix de monter dans le premier vol qui m'amenait à Londres ou de passer la nuit sur l'un des sièges inconfortables de la salle d'attente pour rentrer en France. Je serais allée au centre d'hébergement en espérant que ma place n'aurait pas été prise et j'aurais arrêté mes études pour trouver un travail qui me permette de ne pas rester plus que nécessaire là-bas. C'était simple. Un chemin tout tracé. Sauf que j'ai choisi Londres, j'ai choisi de ne plus être Ophélia l'orpheline, mais Ophélia l'étudiante qui rêve de découvrir le monde.

Parfois, j'ai peur d'oublier qui je suis en réalité. Et parfois, je ne souhaite qu'une chose, oublier. Oublier, c'est facile quand personne ne sait véritablement qui vous êtes. Je ne mens pas, je cache juste ma réalité. De toute façon, les gens posent des questions, mais ne veulent pas entendre les vraies réponses. Ils ne veulent que celles qui les arrangent et leur permettront de vous ranger dans une case de leur vie.

Pour Audrey ma colocataire, je suis Ophélia l'étudiante qui était partie faire la fête avec ses amis pour le Nouvel An et qui a décidé de passer quelques mois à Londres. Si je lui avais dit la vérité, elle ne m'aurait pas proposé si facilement de partager l'appartement que ses parents lui ont acheté.

Il y a des choses surprenantes lorsque l'on est une autre. Les études, par exemple. Orpheline, je devais chercher un travail, ne pas m'attacher à tenter de réussir. Mais plus maintenant. Pour Audrey, c'est une perte de temps de venir à Londres et de ne pas en profiter pour continuer mes études. Après tout pourquoi pas ?

J'ai donc postulé sans véritable espoir d'être prise à Greenwich University, en section Mathématiques. Et j'ai été prise ! Sacrée surprise, j'avoue. Mais la plus grande fut celle du montant des frais d'inscription ! J'aurais aimé ne pas me servir de l'argent que m'avait laissé Léo. J'aurais aimé être cette fille qui peut se permettre de les balancer en criant qu'elle n'est pas une pute. Sauf que, parfois, il faut savoir ravaler sa fierté et manger des sandwichs au thon.

— Je ne comprends pas comment tu fais pour tenir un rythme pareil, me dit Audrey en guise de bonjour quand j'arrive enfin sur le campus.

Elle réajuste ses lunettes de soleil en bâillant et boit du bout des lèvres son café probablement acheté sur le chemin.

— Je crois que c'est dû au fait que contrairement à toi, je ne me couche pas à 5 heures du matin.

— Tu te lèves à 5 heures, geint-elle comme si elle vivait mon réveil par procuration.

— Non, je pars à 5 heures et la plupart du temps, je te croise qui rentres d'une énième fête.

— Que tu es rabat-joie.

Je pouffe quand elle boit de travers son café et qu'il lui coule sur son menton.

— Sérieusement, Audrey, tu devrais penser à dormir, tu n'arrives même plus à boire comme il faut !

— Ah ah ah, fait-elle semblant de rire en jetant son café à la poubelle et secouant ses mains.

Je cherche des mouchoirs dans mon sac et lui en tends un pour qu'elle s'essuie.

— Tu es une vraie amie, lance-t-elle théâtralement en l'attrapant.

— En tant que telle, je me dois de te dire qu'il pleut et que tu as l'air ridicule avec tes lunettes de soleil.

Elle souffle et les range dans son sac.

— Et ton pull est à l'envers, j'ajoute en partant en direction de ma salle de cours.

— Et tu ne pouvais pas me le dire plus tôt ?

Je me tourne et lui lance en riant :

— Ça aurait été moins drôle !

En réponse, elle me fait un doigt d'honneur et je hausse les épaules en me hâtant de prendre place dans l'amphithéâtre.

Je souris à ma voisine qui au bout de six mois ne m'a ni adressé un mot ni rien du tout en fait. Au départ, je ne comprenais pas l'attitude des élèves. Il ne m'a pas fallu longtemps pour prendre conscience de la compétitivité qui règne dans ma section. Heureusement, j'ai grandi avec des gamins perturbés et jaloux de tout, donc ça ne me change pas trop.

Autre surprise, en devenant Ophélia l'étudiante, j'ai appris qu'en réalité j'étais super forte en mathématiques. J'ai toujours su que je n'étais pas mauvaise, car malgré mon parcours chaotique dans différents foyers, je suis restée concentrée sur mes études. Non pas parce que je pensais que cela me sauverait d'une vie de misère, mais parce que j'avais besoin de me raccrocher à quelque chose. Je n'avais ni ami ni petit ami, mais j'avais l'école.

Au lycée, mes conseillers d'orientation ne me proposaient que des filières courtes, en alternance. En bref, de quoi devenir rapidement autonome. Pourtant, je ne les ai pas écoutés. J'ai eu mon bac à dix-sept ans et suis allée à la fac de sciences. Je ne voyais pas l'intérêt de faire quelque chose qui ne me plaisait pas tout en sachant que mes chances de m'en sortir étaient faibles. Car même si j'empruntais le chemin que les conseillers me destinaient, je savais que je n'aurais pas terminé avant mes dix-huit ans et que cela ne servirait à rien. J'ai donc choisi de faire ce qu'il me plaît et, finalement, je me dis que je n'ai pas eu tort.

— Bonjour à tous, nous salue le professeur en entrant.

Tout le monde est déjà prêt à noter et absorber son cours. Moi la première, car maintenant que j'ai compris que je pouvais y arriver, je ne lâcherai rien.

— Comme d'habitude, félicitations à Miss Curie qui a su m'éblouir avec son dernier devoir, dit-il comme s'il annonçait la météo.

Sauf que pour ma part, cette annonce me tire un grand sourire victorieux.

— Eh oui, la magie des mathématiques ! On peut arriver en ne parlant quasiment pas un mot d'anglais et pourtant foutre la raclée à une bande de petits aristos qui n'a étudié que dans les meilleures écoles de Londres, ajoute-t-il en inscrivant une équation sur le tableau.

Je continue de sourire, même s'il a tort. Lorsque je suis arrivée, je parlais aussi bien anglais que n'importe quel Français... Bon, finalement, il n'a pas tout à fait tort. Mais par chance, les équations ne parlent ni anglais ni français.

— Pétasse, souffle doucement ma voisine.

Elle aura fini par m'adresser un mot !

— Désolée, je ne parle pas anglais, je lui réponds avec sérieux.

Elle grogne et je suis à nouveau concentrée sur le tableau, bien décidée à garder ma place de numéro 1. Je ne sais pas où je serai demain, mais pour le moment, je veux profiter de cette nouvelle vie.

My Mad KingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant