Chapitre 18 - elle ne sera jamais elle

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Léo 

— Tout ça pour ça ? me demande-t-elle en s'asseyant au sol à côté de moi.

— Je ne vois pas de quoi tu veux parler ! je mens avant de finir la bouteille cul sec.

— Tu as rêvé de t'enfouir en elle toutes les nuits, de ce jour où tu pourrais enfin goûter à nouveau à la douceur de sa peau et...

Anna pose ses mains sur mes joues, plonge son regard dans le mien et termine avec dégoût :

— Tu es vraiment monstrueux.

— Je sais.

— Elle n'est pas moi et elle ne le sera jamais, murmure-t-elle en me relâchant brusquement.

— J'ai cru que c'était toi.

Et le dément que je suis se met à rire.

— Tu ne peux pas continuer comme ça.

Anna me soulève de terre, un bras sous chacune de mes aisselles.

J'ouvre les yeux et deux prunelles marron me scrutent avec inquiétude.

— Tu n'es pas Anna, je marmonne en reconnaissant mon frère.

Je regarde autour de moi et comprends que je me suis endormi par terre, ivre mort dans mon salon délabré.

— Personne ne peut me sauver, je lui dis avant d'échouer comme une masse sur le canapé.

— Si tu ne laisses personne t'approcher assez pour essayer, effectivement, personne ne pourra te sauver.

— Quand je serai mort, tu donneras mon argent à Ophélia.

— Pourquoi ?

— Elle le mérite plus que moi.

— Elle ressemble vraiment à Anna, murmure Loukas, songeur, en s'asseyant à côté du canapé.

J'ai toujours été jaloux de ce regard que mon frère portait à ma femme. Elle avait beau être mienne, Anna était aimée de tout le monde. Un vrai rayon de soleil qui ne laissait personne indifférent. Elle éclipsait tout. Même la tristesse dans les yeux de mon frère.

— Mais elle n'est pas Anna, je divague, l'esprit toujours embrumé par l'alcool. Elle ne le sera jamais. Anna était douce, belle et généreuse. C'était un ange. Un magnifique ange. L'inconnue n'est pas un ange. Elle n'a rien de doux ou de magnifique. Elle a été envoyée par le diable pour tester ma raison. Elle me torture avec ses sourires et ses grands yeux bleus.

Loukas me scrute en silence. Parfois, je me demande quels sont ces mots qu'il n'arrive pas à prononcer. Puis j'abandonne. Loukas préfère garder ses démons pour lui. Contrairement à moi qui les laisse déborder avec ma colère et l'alcool.

— Pourquoi tu as menti tout à l'heure sur les raisons pour lesquelles tu lui as donné de l'argent ? finit-il par m'interroger.

— Tu le sais.

Il soupire et semble résigné par ma réponse. Ou mon attitude. Il fut un temps où j'avais une famille. J'étais un homme respectable et respecté. Maintenant, je ne suis qu'un ivrogne qui fantasme sur une fille qui ressemble à sa défunte épouse.

— Tu as été cruel avec elle.

— Je sais.

Et je me hais pour ça aussi. Mais...

— Je n'arrive plus à être quelqu'un de bien sans Anna.

— Tu n'arrives plus à être quelqu'un tout court, Léo.

— C'est vrai.

— Tu ne peux pas continuer comme ça.

— Je sais.

Une larme coule le long de ma joue. Je ne l'arrête pas. Je la laisse tracer un sillon humide sur mon visage, déborder sur mon menton et s'écraser sur mon thorax. Elle n'existe plus elle aussi. Si on ne prête pas attention à cette minuscule tache sur ma chemise défaite et froissée, on peut même en oublier son existence.

— Anna me manque à moi aussi, murmure-t-il, le regard perdu dans le vide.

Ma gorge se serre et je me relève brusquement. Je manque de perdre l'équilibre, mais arrive tant bien que mal à avancer jusqu'à la bouteille de Bourbon.

— Arrête de boire, Léo, tente Loukas sans bouger de sa place.

Je pouffe comme s'il venait de me raconter une blague et réponds, les lèvres déjà sur le goulot :

— Pas ce soir.

— Cela ne fera pas revenir Anna. Tu ne fais que t'enfoncer chaque jour un peu plus.

Peu importe ses mots. Plus rien n'a d'impact sur moi ce soir...

— En continuant comme ça, c'est lui qui gagne, chuchote-t-il.

L'alcool ne descend plus. Mon souffle est bloqué. Ma colère et ma tristesse forment une alliance infernale. Elle coule dans mes veines, dans mes muscles, et avant que ma conscience n'ait le temps de me raisonner, je jette la bouteille sur mon frère.

Heureusement, Loukas a de bons réflexes, et moi, je suis bien trop ivre pour viser correctement.

— On aurait dû le tuer ! je crache avant de me laisser tomber à genoux et de me mettre à pleurer.

— Ça ne l'aurait pas fait revenir, me souffle difficilement Loukas dont le visage est baigné de larmes également.

Je pleure, hanté par cette scène horrible qui ne me quitte pas. Je sursaute quand je sens la main de Loukas m'attraper pour me soulever.

— Si la vie était juste, ça se saurait, me dit-il tristement en me réinstallant sur le canapé.

— Si la vie était juste, je serais mort.

— Tu ne l'es pas et je n'ai que toi, donc si tu ne te bats pas pour toi, fais-le pour moi, souffle-t-il en me posant une couverture dessus.

— Je ne suis pas certain d'y arriver.

— Pourtant, il le faut, lance Loukas avant de partir.

Je ferme les yeux et décide que je ne me battrai plus ce soir. Je suis faible, bien trop faible. Et pour la première fois en deux ans, je l'accepte.

My Mad KingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant