Chapitre 11- Pourquoi faut-il que tout soit toujours aussi compliqué ?

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Ophélia 

— Tu es sûre que ça va ? me demande Audrey en me regardant en biais tandis que je lave pour la cinquième fois le plan de travail de notre cuisine.

Notre appartement est petit, encombré, bruyant. Pourtant, je l'adore. Mon amie ne le sait pas, mais c'est mon premier chez moi. Il m'a fallu du temps pour le comprendre. Maintenant, je le sais, je suis chez moi.

Quand je suis arrivée, je vivais comme j'ai toujours vécu, en attendant d'aller ailleurs. Ce n'était pas ma chambre. Je ne faisais qu'y dormir, occupais cet espace en prenant garde de ne rien laisser de personnel. Et puis un jour, alors qu'on faisait nos courses, j'ai vu une housse de couette. Je la trouvais magnifique. Elle était rose et bordée de pompons multicolores. Audrey m'a dit le plus naturellement possible « tu devrais te la prendre, elle est en promo ». C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que j'étais chez moi et que je pouvais décorer comme je le souhaitais mon espace. Depuis, d'autres bibelots ont rejoint ma housse de couette, et quand je rentre, je rentre chez moi. Il n'y a pas de plus belle sensation. Il n'y a pas un jour où je ne rentre pas avec le sourire et la satisfaction d'avoir mon appartement. Sauf aujourd'hui.

— Oui, je vais bien, je réponds en souriant.

C'est faux.

Mon esprit ne pense qu'à cette histoire avec Léo. Ou plutôt Léandro.

Je n'arrive pas à définir ce que je ressens. De la peine pour lui ? Du remords ? De la panique à l'idée que ce merveilleux chez-moi ne m'échappe quand Audrey apprendra la vérité ?

Un coup, je me sens idiote et un autre, je suis en colère qu'il se soit servi de moi le temps d'une nuit pour se rappeler sa femme décédée. Ensuite, je me sens mal d'avoir profité de sa tristesse et de lui avoir pris son argent. Et souvent, je me demande comment j'aurais fait sans. Je me vois finir dans un carton sans perspective d'avenir.

Donc, non, ça ne va pas.

Ma réalité et ma situation me sont revenues en pleine figure en quelques minutes. C'est comme si j'avais oublié que j'étais Ophélia, sans famille, sans argent, sans nulle part où aller et que le destin s'était chargé de me le rappeler.

— C'est quand que tu as les résultats pour ta réinscription ? m'interroge mon amie en me scrutant toujours.

Ma mâchoire se crispe. Dans ma belle confiance, j'ai tout tenu pour acquis, même ça. Je ne doute pas de passer en 3e année option mathématiques, mais si je n'ai pas de bourse, tous mes bons résultats ne serviront à rien, je n'aurais pas les moyens de me réinscrire.

L'argent que je gagne en faisant les ménages ne couvre que le loyer de la chambre. Ce qu'Audrey ne sait pas, c'est que je mange le matin le petit-déjeuner offert aux employés et que je m'arrange le plus souvent pour récupérer dans les restes de quoi me faire un sandwich pour mon déjeuner. Pour mes autres repas, je prends dans l'argent que m'a laissé Léandro. Argent qui a quasiment disparu. L'hôtel m'a proposé des heures supplémentaires pour les vacances, et cela doit me permettre de me renflouer. Sauf que sans la bourse...

— Dans deux jours.

— Tu es la meilleure de la promotion, donc tu n'as pas de raison de t'inquiéter, me dit-elle avec un sourire rassurant.

— C'est une commission qui décide qui a droit à une bourse ou non, je lui réexplique, plus tendue que jamais.

— Tu sais si tu ne l'as pas, ce n'est pas un drame, tu feras comme le reste des mortels et tu prendras un crédit étudiant.

Audrey n'a pas de crédit. Audrey a des parents qui ont les moyens d'avoir un appartement à Londres et de payer les études de leur fille. Et si Audrey avait besoin d'un crédit, elle l'obtiendrait, car contrairement à moi, elle a des parents qui se porteraient garant.

Je ne dis rien. Elle n'a pas besoin de savoir de quoi est fait mon univers. Personne ne devrait le connaître d'ailleurs. Tout le monde devrait vivre dans le même univers qu'Audrey, où tout est simple.

— Tu devrais venir à la soirée, tente-t-elle comme tous les soirs.

— Tu sais très bien que je travaille très tôt demain matin, je lui rappelle, amusée.

— Tu es jeune, une nuit blanche ne te tuera pas, argumente-t-elle en papillonnant des cils.

— Certes, mais si je ne rends pas mon devoir demain, j'aurai un zéro ! je lance en posant enfin l'éponge au bord de l'évier.

Audrey soupire théâtralement et me sort :

— Je vais encore devoir boire pour deux !

— Je ne t'ai jamais obligée à faire une chose pareille.

Elle rit et moi aussi.

Que j'aime ma vie dans cet appartement, avec Audrey. J'ai l'impression d'avoir dix-huit ans et ma vie devant moi, que je peux rêver et que rien d'horrible ne m'attend au tournant.

— Bien, miss rabat-joie, je t'abandonne à tes corvées et vais m'éclater ! termine-t-elle, les poings en l'air et en s'éclipsant en quelques pas de danse.

Je secoue la tête et ris encore quand la porte se referme. Je regarde tout autour de moi avec nostalgie comme si mon destin était déjà joué d'avance. Mon sourire s'efface, mais pas le sentiment que les choses ne vont pas se passer comme prévu.

Revoir Léo était un avertissement du destin. J'aurai beau tenter de laisser mon ancienne vie derrière moi, elle sera toujours là. Je me suis demandé à plusieurs reprises si je ne devais pas commencer à chercher un autre logement au cas où. Mais comment chercher autre chose, et à quoi bon ? Je ne suis pas certaine d'avoir de bourse et de pouvoir continuer mes études à Londres. Dans tous les cas, je vais peut-être devoir rentrer en France. Avec un peu de chance, j'aurai une chambre universitaire ce coup-ci...

Peut-être que tout ce que j'ai accompli ne sera pas perdu, je pourrai appliquer en France ce que j'ai réussi à faire ces six derniers mois à Londres. Appartement, études, un petit boulot... Non, il n'y a rien que je ne puisse pas accomplir là-bas.

Mais il n'y aura pas Audrey. Et je ne veux pas être à nouveau seule. J'essuie une larme vagabonde sur ma joue. Ce que j'aime le plus à Londres, c'est avoir une amie et compter enfin pour quelqu'un. Si je rentre en France, je serai seule.

Je soupire et recommence à laver la petite cuisine énergiquement en râlant contre le destin.

Pourquoi faut-il que tout soit toujours aussi compliqué ?

My Mad KingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant