Chapitre 19 - Il n'était pas si désagréable de survivre à Londres

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Léo 

Ma tête est douloureuse, mes muscles aussi, mon cœur également. Et je ne parle même pas de mon esprit.

Je ne sais pas ce qui est pire dans l'alcool : la sensation de manque ? La descente infernale qui suit la première gorgée, puis la seconde, et toutes celles qui viennent ensuite ? Ou le réveil brutal, douloureux et brumeux le lendemain ?

Je tire une grande bouffée sur ma cigarette, puis recrache tout en un gros nuage de fumée.

Un coup d'œil à ma montre m'indique qu'il est 12 h 30.

Elle ne viendra pas. La RH devait m'avertir quand Ophélia serait passée et la dernière fois que je l'ai appelé, soit il y a moins de cinq minutes, mon inconnue n'avait toujours pas montré le bout de son nez.

C'est mieux ainsi. Elle fait ressortir ce qu'il y a de pire chez moi.

Songeur, je passe doucement le bout des doigts sur le contrat que je lui avais fait préparer la veille.

Sauf que l'on ne parle pas de moi, mais d'elle.

L'inconnue n'en est plus une. C'est une jeune femme de dix-huit ans sans ressources et qui a besoin de ce travail pour vivre. Ou payer ses études. Je ne sais même pas ce qu'elle étudie !

La littérature probablement, je songe en soupirant.

C'est plus fort que moi. Mon cerveau ne peut s'empêcher de s'interroger sur elle ! Il faut dire qu'il y a du mystère dans mon inconnue. Rien que son nom, à la fois tragique et étrange.

Que dois-je faire, Ophélia Marie Curie ?

Rien ne rattrapera mes mots ou mes torts. Mais ne pas te donner ce travail serait cruel... Je souffle et ouvre mon tiroir avec humeur. J'en sors une grande enveloppe et y glisse le contrat.

Elle ne devrait pas avoir à payer pour mes erreurs.

Dès que je l'ai aperçue, hier soir, j'aurais dû partir de la boîte. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de la regarder, de la toucher, de la désirer et de la haïr.

J'ai beau essayer, c'est plus fort que moi. Je ne suis qu'un papillon attiré inexorablement par la flamme de désir qu'elle représente. Et c'est pour cela que je vais rester loin d'elle.

Pas à cause de la promesse que j'ai faite à Loukas, mais pour elle, pour moi. Il a raison, je ne peux pas continuer comme ça. Je sombre un peu plus chaque jour et, non content de me retrouver toujours plus loin dans les ténèbres, j'emporte avec moi une jeune fille qui n'a rien demandé à personne.

Elle ne m'avait rien demandé à Athènes. Elle ne m'avait rien demandé lorsque nous nous sommes revus au parc et, hier soir, elle ne m'a rien demandé non plus.

Son seul crime est son étrange ressemblance avec mon Anna. Et sa présence. Il suffit qu'elle soit là pour que je me transforme en tout ce qui m'a toujours horripilé. Pour que ma raison s'échappe.

Avant Ophélia, je n'avais jamais eu d'aventure d'une nuit et je n'avais jamais fait preuve d'autant de cruauté.

Car il ne sert à rien de me mentir, hier soir, mon unique but était de la faire souffrir, de me dédouaner du jugement de sa colocataire et de mon frère. Je voulais lui faire du mal, la faire disparaître.

J'ai vu dans le regard de Loukas qu'il avait compris ce que j'ai pris tant soin à cacher depuis ces six derniers mois. Un malentendu réglé...

Tu parles, il n'y avait rien de réglé !

Je désire cette fille à m'en rendre fou et c'est ce qui est en train de se passer. Je rêve d'Athènes toutes les nuits. À mon réveil, j'imagine Ophélia sous ma douche, prendre son petit-déjeuner avec moi et me raconter ses rêves. Dans le métro, elle est là, dans mon esprit, je l'accompagne à son travail et l'embrasse comme si c'était la dernière fois. Parfois, je passe mes journées à m'imaginer lui faire l'amour et me caresse encore et encore, l'esprit noyé dans mes souvenirs.

Je rouvre les yeux et me lève du fauteuil de mon bureau en soupirant. J'ai promis à Loukas que je ne m'approcherai plus d'elle et je tiendrai ma promesse.

Je colle un post-it sur l'enveloppe à l'attention de ma secrétaire et récupère ma veste. Mon regard embrasse une dernière fois la pièce, comme pour lui dire adieu. Je pourrais dire que j'ai aimé vivre à Londres, mais ce serait mentir. Il n'était pas si désagréable de survivre à Londres, serait la formulation exacte selon moi. Car tout n'a été qu'une survie, ici. J'ai emménagé à la mort d'Anna pour fuir nos souvenirs, mais ils m'ont suivi et hanté.

J'éteins la lumière et quitte mon bureau sans un regard de plus. Je vais faire de même avec ma maison, et qui sait peut-être qu'en me cherchant bien, je vais me retrouver. J'ai fait une promesse à mon frère et je compte la tenir, même si rien ne me semble gagné dans cette entreprise.

En attendant, je rentre chez moi, à défaut de savoir comment être à nouveau.

My Mad KingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant