Francesco. 15

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Je rentre à l'aube, après une nuit lourde en révélations. J'ai obtenu quelques réponses, mais d'autres questions ont surgi. Je n'aurais jamais cru entendre un jour les derniers mots du vieux avant qu'il ne meure. Le Boucher, Toto Rino. Nous connaissons tous l'histoire de cet homme et de sa fin tragique.

La résonance de son nom me donne des frissons. Il faut que j'en parle à mon père ; il le connaissait, me semble-t-il.  Une intuition sourde me dit que je n'aimerai pas ce que je vais découvrir.

Je me dirige tout droit vers l'escalier et je sens la délicieuse odeur du café. Depuis qu'elle travaille pour moi, Aurora est devenue aussi bonne cuisinière que ma mère. J'avais réussi à vivre avec mon père, nouvellement marié, à peine quelques mois. Je ne supportais plus de le voir avec une autre femme, comme si la précédente n'avait pas existé.

Aurora travaille pour moi depuis presque dix ans. J'ai voulu qu'elle emménage avec ses deux enfants : son aîné, Marcello, âgé de treize ans, qui est devenu l'un de mes hommes, et Sylviana, qui en avait onze. Je m'empresse de monter à l'étage pour prendre une douche rapide et contacter mon père.

J'ai enfin pu calmer mes nerfs après la séance d'interrogatoire. Ce n'était clairement pas des professionnels. Le gamin s'est pissé plusieurs fois sur lui, et le vieux, comme je m'en doutais, a fini par parler. 

Arrivé à l'étage, je vois Sylviana sortir de la chambre de Lucinda en claquant la porte. Armando, l'un des deux gardes postés à l'entrée, la dévisage du coin de l'œil. Je sais qu'il ne l'apprécie pas beaucoup. Sylviana, quant à elle, lève son visage un peu trop haut, défiant presque son autorité. Elle n'a pas peur de lui, et pourtant elle devrait, au moins montrer un peu de respect envers mes hommes.

- Alors, est-elle bien installée ? lui demandé-je.

- Oh, bonjour, monsieur Cesareo. Oui, j'ai fait tout ce que vous m'avez demandé, me répond-elle en m'offrant un sourire timide, qui sonne pourtant faux.

À ce moment-là, je me rends compte que Sylviana passe de plus en plus de temps dans la maison. Au début, elle venait seulement aider sa mère, mais ces derniers temps, elle semble avoir pris ses quartiers ici. Je pense qu'elle commence à agacer certains de mes hommes, comme Armando, qui fixe désormais le mur d'en face, évitant tout contact visuel. 

- Bien, dis à ta mère de me préparer mon petit-déjeuner, lui ordonné-je en partant vers ma chambre, à côté de celle de Lucinda.

J'entre dans ma chambre et me dirige directement vers la salle de bain. Sous l'eau chaude, mes muscles commencent à se détendre, et une sensation de calme envahit mon esprit. Pourtant, mes pensées s'égarent rapidement vers Lucinda. Je sais que je n'ai pas été tendre avec elle. Pourtant, elle a su garder son sang-froid, à  maintes reprises, elle aurait pu céder à une crise d'angoisse ou éclater en larmes.  Et je ne sais pas comment j'aurai géré une telle situation.  

Désormais attablé sur ma terrasse, je commence à lire les infos sur mon portable. C'est à ce moment-là que mon père me rejoint. Toujours fringant, il incarne la mafia aristocratique sicilienne, avec ses codes et ses valeurs ancestraux, tel que l'honneur, la loyauté ou le respect de la famille. Son seul bémol, c'est son remariage, un sujet qui nous a éloigné depuis longtemps. D'habitude, les veufs ne se remarient que rarement ; ils s'occupent, avec l'ensemble du noyau familial, de l'éducation des enfants.

- Matteo m'a informé du petit incident que vous avez eu hier, me confie-t-il en se servant une tasse de café. Avec mon père, nous n'avons pas besoin de préambule. Je remarque que tu es un jeune marié, constate-t-il en regardant mon doigt où je porte d'habitude ma chevalière, se doutant probablement que je l'ai donnée à Lucinda. Pour une raison qui m'échappe, je n'avais pas réussi à la remettre. Puis ses lèvres s'élargissent pour former un sourire, un sourire rare et chaleureux. Est-il réellement heureux pour moi ?

Vœu sicilien, Le Clan CesareoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant