Francesco. 42

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Je sens que Pedro rode autour de nous et même si Lucinda a un garde du corps et doute fortement de la dangerosité de son frère, je veux qu'elle apprenne à se défendre toute seule, du moins à savoir tenir un revolver un moment avant que des secours n'interviennent en cas de danger. 

Pour le moment, je veux qu'elle apprenne à tirer, pour ce qui est de la lutte, je m'en chargerai après. Peu de femmes dans notre monde savent manier des armes, car ce sont toujours les hommes qui assurent leur protection, ainsi que celle des enfants.

En entrant dans le stand de tir, Lucinda est debout face à une table où divers revolvers sont disposés. Son corps est crispé et serre fort ses mains jointe, visiblement mécontente d'être ici. Après notre altercation dans la cuisine, j'ai jugé bon de lui laisser un peu d'espace. 

J'ai déjà foiré deux fois avec elle, alors, pour une raison qui m'échappe, je ne veux pas envenimé plus les choses avec elle, et  je l'avais laissé partir se refugier dans sa chambre, probablement pour pleurer. 

Depuis les révélations d'Amadeo, j'ai pu coller les morceaux entre eux. A la mort de son frère, Adamo Vitale a pris en charge la veuve et l'orphelin et je comprends pourquoi la grand-mère de Lucinda, qu'elle n'a pas probablement jamais vu,  lui avait légué son héritage et non Pédro qui n'est pas l'enfant légitime d'Adamo. 

 Aujourd'hui, elle porte une robe d'été large et une image furtive et incongrue passe dans mon esprit, Lucinda avec un ventre rond. Quelle sensation serait de toucher son ventre rond et de sentir, même, le bébé bouger? 

A l'annonce de mes fiançailles avec Lucinda, je pensais que cela devait arriver un jour ou l'autre sans vraiment penser aux enfants. Ils étaient relégués dans un coin de mon esprit, rien de plus.

Mais ces derniers jours, je commence à y réfléchir, et même à l'imaginer, comme à cet instant, et très souvent suivis par une question,  serai-je un bon père ?

Mais avant de penser à tout cela, il faudrait déjà consommer le mariage. Et vu la peur de mon épouse à mon égard, je suppose qu'il faudra attendre très longtemps. Et je suis obligé de cligner plusieurs des yeux pour me débarrasser de l'image tentante de Lucinda enceinte. 

 Et, lorsque je m'approche d'elle, elle recule instinctivement de quelques pas. Ce n'est pas gagné. Pourtant, son regard, qui se pose sur moi, n'exprime pas seulement la peur. Il y a autre chose, un éclat différent, le même que celui que j'ai perçu sur elle au circuit de course ou dans la cuisine, hier. 

Il semble être alimenté par quelque chose qu'elle du mal à dissimuler, le désir. Et celà change tout puisque cela signifie que Lucinda est prête plus d'intimité. 

Au moment où je me place derrière elle, un petit gémissement de peur lui échappe, qu'elle tente maladroitement de dissimuler. Peut-être ai-je mal interprété son regard, après tout.

- Arrête d'avoir peur de moi, je grogne, incapable de retenir ma  frustration. 

- Et bien essaie de ne pas être trop intimidant, me répond-elle avec les lèvres pincées, visiblement furieuse, et plus hardie que d'habitude. 

- C'est beaucoup mieux, lui dis-je en souriant, face son courage, faible mais bien réel.

Pourtant, elle recule encore et je la rattrape par le poignet.

- Je ne veux pas d'une épouse qui a peur de son propre ombre, je grogne à nouveau, ma patience à bout dès que Lucinda est dans les parages.

- Tu n'as qu'à en changer, crache-t-elle.

Je ne peux, cette fois-ci,  m'empêcher d'éclater de rire face au visage renfrognée de mon épouse, les poings serrés, ressemblant à une petite fille fâchée, et je ne peux m'empêcher, non plus, de l'attirer vers moi, et de la garder prisonnière dans mes bras.

Un hoquet de surprise sort de son adorable petite bouche. Je me rends compte que je prends un trop grand plaisir à la tenir près de moi. 

- Je savais bien que tu avais des griffes aiguées, j'ironise tout bas, mes yeux concentrés sur ses lèvres  délicates. Mais le tremblement de son corps me fait sortir de ma torpeur et je décide de me reconcentrer sur ce que nous sommes venus faire ici. 

- Tourne toi, je lui ordonne sèchement, mécontent que prend le cours de mes pensées et de mes désirs.

Elle s'exécute silencieusement mais son corps trahit, encore,  sa peur.

- Sur la table, je t'ai préparé plusieurs exemples de revolvers. Toi, tu commenceras avec un modèle plus léger. Mais avant tout, je veux que tu ressentes ce que c'est de tenir des armes de mort entre tes mains, et que tu apprennes à les différencier. Plus tu maîtriseras cette sensation, moins tu auras peur, et mieux tu contrôleras l'arme. D'accord ? demandé-je en me penchant vers elle.

Lucinda hoche la tête, et le parfum délicat de son shampoing vient m'envahir, et enivrer une partie de moi. 

Je lui tends l'arme la plus légère et maniable pour une femme de son gabarit mais cette dernière rechigne à la prendre. 

- Je-je ne peux pas, déclare-t-elle en secouant la tête. 

-Lucinda, ce n'est pas un choix mais un ordre. Un jour tu seras peut-être amenée à te défendre seule.

-Pedro ne me fera jamais mal, tente-t-elle de dire, comprenant alors le but de cette séance, la protéger de Pedro. 

-Tu ne le connais pas assez bien pour affirmer une telle chose Tu te souviens de l'auberge, et par la suite sur la montagne. Des hommes ont bien tenté de nous tuer et ils étaient sans doute sous les ordres de Pédro. 

A cet instant, j'aimerai lui dire toute la vérité, le rôle de son oncle dans l'assassinat de Toto Rino, la véritable identité de Pedro et l'existence même d'un frère jumeau. Ou peut-être est-elle au courant et elle est de mèche avec lui. Mais j'en doute fort. 

- Quoi? De quoi parles-tu?, me demande-t-elle ne se tournant vers moi.  

-Ton frère a des liens biens plus importants ici, en Sicile que tu ne le penses. 

-C'est absurde. Il n'a mis les pieds en Sicile qu'une seule fois.

-Quand?

- L'an dernier, dit-elle avant de détourner son regard.

- Bon, mettant de coté cette histoire et concentre-nous sur notre séance. 

- Je-je ne veux pas, bégaye-t-elle, effrayée. 

-Il le faut bien, je grogne en levant les bras tremblant de Lucinda vers une cible. Ce n'est qu'un entrainement, je serai toujours là pour te protéger, surtout de Pedro, la rassuré-je,  en m'abaissant à son oreille.

- Francesco, s'il te plaît, je-je ne peux pas...je ne veux pas avoir du sang sur les mains, chuchote-t-elle, le dos courbé. Elle paraît si petite, si vulnérable et tellement hors de mon monde. 

Elle m'avait reproché mon manque d'empathie pour ma famille, mais face à elle, je crois qu'elle avait tort car quelque chose se fissure en moi. 



Vœu sicilien, Le Clan CesareoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant