Lucinda. 50

19 3 0
                                    

Ce matin, je me réveille à nouveau avec la nausée, comme presque tous les jours depuis une dizaine de jours. Il faut que je pense à demander à Carla de m'acheter des pastilles à la pharmacie. 

Le pire, c'est que certains matins, je ne vomis presque rien, juste des glaires. Même les repas ont un drôle de goût, ou une odeur étrange, et je me sens ballonnée toute la journée. Je n'aurais pas dû me goinfrer des pâtisseries de Carla, ces derniers temps.

Je me relève difficilement du lit, traînant des pieds, avec cette envie de dormir, encore, encore et encore. En ce moment, je me sens si épuisée que je n'arrive même plus à aider Carla.

Je me traine péniblement jusqu'à la salle de bain où je vomis à nouveau deux fois.  Après une douche rafraîchissante, je décide de me rallonger, juste un peu, mais je ne tarde pas à sombrer à nouveau dans un sommeil profond.

A un moment, je sens une présence féminine près de moi et un parfum de vanille qui me retourne l'estomac.

- Madame, voulez-vous dîner ? murmure Carla.

Je tente, tant bien que mal, de soulever mes paupières. Mais impossible, elles sont bien trop lourdes et je suis si fatiguée, si engourdie...et, tout d'un coup la proposition de Carla finit par percer la brume dans laquelle je suis.

- Dîner ?, je l'interroge, incrédule, la gorge sèche.

- Oui Madame, il est dix-neuf heures, m'indique Carla, hésitante.

- Dix-neuf heures? C'est impossible, je n'ai pas pu dormir toute la journée ?, je lui demande, tentant de me redresser mais je suis incapable de me relever du lit, ni d'ouvrir mes yeux. Mon corps semble peser une tonne et hors de mon contrôle.

- Je suis venue vous voir pour le déjeuner, et vous m'avez demandée de vous laisser dormir, ajoute-t-elle, sa voix plus proche de moi, désormais.

Je dois couver une grippe, c'est la seule explication possible à cet état léthargique. Pourtant, je ne ressens aucun froid, aucune courbature, juste une trop grande fatigue. Après réflexion, je décide de m'en rendormir sans prendre d'antalgique pour le moment.

- Je vais continuer à me reposer, dis-je à Carla. Après une bonne nuit de sommeil, je serai plus en forme demain matin,  finis-je par dire, en baillant.

- Bien Madame, je vous laisse votre repas au chaud au cas où....

Elle continue à parler, mais je me suis déjà endormie.


Depuis quelques jours, je viens m'asseoir sur la balancelle pour profiter du paysage, le bleu de la mer contrastant si joliment avec le violet des bougainvilliers ou simplement le vert des palmiers. Mais aujourd'hui, le paysage qui s'offre à moi est terne, dénudé de toute couleur, de toute chaleur, même la brise me paraît fade.

Dans ma chambre, j'avais eu l'impression que les murs se rétrécissaient autour de moi, m'étouffant par la même occasion, je pensais qu'une petite sortie me ferait du bien mais j'ai toujours la même sensation d'enfermement, et de profonde solitude. Ma poitrine est comprimée et j'ai qu'une seule envie, pleurer.

Perdue dans mes pensées, je remarque tardivement la présence de Francesco, debout, tout près de moi. Je détourne à peine mon regard de l'horizon qui semble s'assombrir, devenir aussi noir et terne que ma vie ici, en somme. Malheureusement, je ne suis plus maîtresse de ma vie depuis bien longtemps.

Cela fait plus de trois semaines que je n'ai pas vu Francesco. Il rentre tard le soir pour repartir tout aussi tôt le matin. Et durant deux semaines, je n'étais pas autorisée à quitter la demeure même accompagnée de Marcello. 

L'ambiance dans la maison était devenue électrique. Les gardes, doublement armés, patrouillaient sans relâche, accompagnés de leurs chiens qui inspectaient chaque trace, chaque recoin du domaine. Même Carla, d'habitude si joyeuse, paraissait soucieuse. 

Je n'ai compris la situation que lorsque je suis tombée sur les informations du soir. La police avait retrouvé les corps de Fabio Messina et de son fils, Stefano, dans l'un des hangars du port de Catane. 

Une guerre se déroulait sous mon nez sans que je m'aperçoive de quoi que ce soit. Pas besoin être devin pour comprendre que Francesco était derrière tout ça, probablement sous les ordres de Don Marco, ou pire encore, d'Amadeo. 

Il semblerait que Francesco vient juste de me parler mais le brouillard qui occupe mon esprit a étouffé ses paroles. En reprenant conscience, je réalise que sa grande veste est posée sur mes épaules. C'est à ce moment-là que je réalise à quel point que j'avais froid, et je ne pensais pas que cela puisse être possible ici, en Sicile.

- Il fait froid, m'informe-t-il, d'une voix étonnamment douce.

-Oh, merci, réponds-je , inspectant sa veste chaude et imbibée de son parfum naturel. 

En prenant place à côté de moi sur la balancelle, cette dernière bouge légèrement et je ressens à nouveau un léger vertige, le même vertige que j'éprouve depuis quelques jours, accompagné, malheureusement, d'une montée de nausée.

- Tu as des nouvelles de ta famille ? me demande Francesco.

- Oui.

- Et, elle va bien ?

Je ne comprends pas l'intérêt soudain de Francesco pour ma famille, mais je lui réponds, toujours mon regard perdu sur un petit nuage qui flotte dans le ciel, libre de vagabonder à sa guise.

- Oui. La rentrée scolaire s'est bien passée.

- Et Georgia ?

- Elle va bien. Maria et Lina l'ont accompagnée pour acheter ses nouvelles fournitures scolaires.

Je suis heureuse que mes cousines prennent soin de ma petite sœur. Elles seront un bon exemple pour elle, contrairement à moi, passive, soumise...et dépourvue de courage. Rien que d'y penser, j'ai la gorge qui se serre douloureusement. 

Et puis, ma mère m'avait, une fois de plus, demandé des nouvelles de mon père et je lui avais assuré qu'il était en bonne santé. Mais au fond de moi, je sais que c'est un mensonge.  

De plus, j'ai bien peur que Francesco ait raison à propos de mon frère, Pedro. Je ne le connais pas aussi bien que je le pensais. Non, en réalité, je ne le reconnais plus depuis son retour de voyage en Sicile, l'an dernier. Il était devenu une autre personne, presque un étranger et ....même son parfum habituel avait changé.

 Peut-être devrais-je en parler à Francesco? Mais comment lui expliquer que je n'arrive plus à cerner Pédro depuis des mois, que je le trouve bizarre? J'ai peur que mes doutes soient infondées et condamnent par la même occasion mon frère. 

- Paola prépare aussi la rentrée des jumeaux. 

Rares sont les fois où Francesco mentionne ses demi-frères, mais pour le moment, je n'ai que faire. Pourquoi est-il venu au fait ? Que veut-il ? 

Peut-être que j'ai seulement le mal du pays ? 

Une violente brise froide fouette mon corps et je recroqueville à l'intérieur de la veste chaude de Francesco. Le vent balaie mes cheveux dont certaines fines mèches s'accrochent à mon visage. 

Du bout des doigts, Francesco tourne mon visage vers lui et les retire, une par une, pour les placer délicatement derrière mon oreille. Son toucher est doux, tendre mais je ne veux plus croire à un semblant de tendresse, qu'il donne, si brièvement, pour aussi vite la reprendre. 

Vœu sicilien, Le Clan CesareoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant