Chapitre 1

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Seuls le bruissement des draps et la respiration sifflante de l'homme au-dessus de moi viennent troubler le silence pesant de la pièce. Des frissons de dégoût me parcourent lorsqu'il baisse la tête et me chuchote au creux de l'oreille.

"T'aimes ça quand je te traite comme le sale chien que tu es ? Tu sais que tu ne vaudras jamais mieux que ça. Même un chien de clodo a plus de valeur que toi. Ne l'oublies jamais tu entends ?"

Je ne dis rien, trop habitué à subir ses humiliations pour y prêter attention. Un claquement résonne, suivi d'un désagréable picotement sur ma joue droite, là où sa main vient de s'abattre. Il est plus impatient que d'habitude. Sûrement une mauvaise semaine au bureau.

"Réponds-moi !"

Je réponds avec un temps de retard, une deuxième claque redouble les picotements sur mon visage. Toutefois, la douleur diminue rapidement, grandement atténuée par les effets de la drogue.

Jae-Won dirait que j'ai encore abusé sur les bonbons, mais je suis bien content que mon état second me donne l'impression de rêver, plutôt que de me rappeler la dure réalité. Une énième claque que je préfère garder pour plus tard.

Je regarde sans vraiment le voir, l'homme qui s'active violemment entre mes jambes. La cinquantaine, les cheveux grisonnants, bedonnant, les ravages qu'une vie de stress et de déboire peut causer sur le visage d'un homme de cet âge.

Lee Do-won. En apparence un grand homme, directeur du service d'une grande société, marié, père de deux enfants. L'image de l'homme quinquagénaire qui a réussi sa vie en société. Un habitué de l'établissement et surtout mon tout premier client. C'est aussi mon client le plus régulier et l'homme que je hais le plus sur cette terre - après mon géniteur.

Les vas-et-viens deviennent plus violents et désordonnés. Plus que quelques secondes à tenir et je serais débarrassé de cette ordure - du moins jusqu'à sa prochaine visite.

Je suis son défouloir, son objet, sa chose. Il fait ce qu'il veut de moi pendant les deux heures qu'il réserve en ma compagnie. Et je n'ai surtout pas mon mot à dire. Je dois simplement me contenter de répondre à ses demandes, point barre. Les bleus, les coquards, les violences psychologiques, ça faisait partie du pack spécial "Objet personnel".

Le seul avantage avec Do-won c'est le gros paquet de billets qu'il laisse sur la table de nuit en partant. Même si, à choisir, j'aurais préféré un client pauvre et respectueux plutôt que cet homme plein aux as, et au besoin maladif de supériorité et de domination.

Il reporte toutes ses frustrations sur moi. Lorsque ses employés de bureau lui ont fait perdre de l'argent, lorsque son épouse lui prend la tête avec ses "histoires de bonne femme", lorsque ses enfants l'ont rendu chèvre. Il emmagasine tout ça dans son petit esprit étriqué et extériorise ses colères sur moi. Un punching ball émotionnel, voilà ce que je suis pour lui.

Mais ce n'est pas l'avis de Won-Shik, mon patron et directeur du Red Light, bar et maison close gay. Un homme vénal comme on en croise partout dans le milieu, plus intéressé par le porte monnaie de ses clients, que par la sécurité et la préservation de la dignité de ses employés. Et étant donné ma situation, il en profite au maximum.

Lee Do-Won est une véritable poule aux œufs d'or et il est hors de question de risquer, pour une raison ou une autre, de perdre ce si précieux revenu. J'ose à peine imaginer la somme que doit payer Do-won pour ses deux heures avec moi, surtout en considérant la coquette somme qu'il me laisse déjà à chacune de ses visites.

Après un dernier soubresaut, Do-Won me libère enfin de son poids et me laisse sur le lit, les reins et les joues en feu, tandis qu'il se rhabille rapidement, ses frustrations à présent exorcisées par l'intermédiaire du réceptacle que je suis pour lui.

Il jette le fameux rouleau de billets sur ma table de chevet sans même me jeter un regard. Celui-ci a l'air plus épais que d'habitude.

" Achète toi quelque chose d'un peu plus seyant que ces torchons que tu te trimballes".

Un fantôme de gentillesse, ou simplement un besoin supplémentaire de me montrer que je ne suis rien de plus que sa chose ? Impossible de savoir.

" A la semaine prochaine Blanche-Neige. J'ai demandé au patron de me réserver toute une soirée avec toi. On va bien s'amuser tous les deux".

Pretty Little ThingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant