CHAPITRE 3

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— Que faites-vous dans la vie ?

— Je travaille dans les ressources humaines.

— Dans quel genre d'entreprise ?

— Ma boîte a conçu un logiciel pour l'agroalimentaire. Ce n'est pas super sexy sur le papier, mais elle a le vent en poupe en ce moment.

— Je vois... Et votre métier vous plaît ? Est-ce qu'être RH vous apporte du bonheur au quotidien ?

— Ce n'est pas incroyable, mais ça me permet de payer mes factures correctement.

Malgré la nonchalance de ses réponses, son visage était fermé, ne laissant passer la moindre once d'émotion. Le peu de fois où le vert de ses yeux rencontrait les miens, rien ne s'y dégageait. Chaque partie de son corps était contractée à s'en briser, du bout de ses doigts agrippant son pantalon, à sa mâchoire crispée qui l'empêchait presque d'articuler correctement ses mots. Cette femme était la définition parfaite de l'anxiété, et j'étais persuadé qu'elle ne s'en était même jamais rendu compte.

— Comment vous sentez-vous au quotidien ?

— C'est-à-dire ?

— Vous sentez-vous régulièrement stressée ?

— Pas vraiment. Je ne suis pas du genre à m'inquiéter pour rien, répondit-elle, fière de ses mots alors que je pouvais entendre ses dents craquer sous la tension de sa mâchoire.

Mentait-elle par peur de me révéler la vérité, ou était-elle à ce point plongée dans l'ignorance ?

— Vous avez des amies, des gens de qui vous êtes proches ?

— Je n'ai pas beaucoup d'amis, mais ça me suffit. Je préfère côtoyer peu de personnes, mais de confiance, que d'avoir une ribambelle d'amis dont je ne suis pas proche.

— Ces amis sont-ils au courant de votre problématique ?

— Non.

— Pourquoi ? Vous me disiez à l'instant qu'ils étaient de confiance. Ils ne le sont donc pas suffisamment pour entendre...

— Ce n'est pas pareil, me coupa-t-elle, visiblement vexée. On peut parler de la déprime, de ses peines de cœur, ou encore de ses problèmes d'argent, mais pas forcément de ça. C'est intime, je trouve ça normal d'avoir son jardin secret.

— D'accord, vous ne leur parlez pas de sexe, je comprends. Par contre, sont-ils au courant pour tout le reste ? Vous leur avez dit quand vous vous sentiez mal, que vous aviez le cœur brisé, ou quand vous manquiez d'argent, n'est-ce pas ?

Elle leva les yeux au ciel en soupirant bruyamment. Son non-verbal était pour la première fois plus que limpide. Je l'agaçais.

— Je leur en parle, parfois. Enfin, non, pas forcément. Mais je ne vois pas le rapport. Et à quoi ça va vous servir de savoir si je me confie à mes amies ou non ?

— Ça me donne une idée plus précise de qui vous êtes réellement.

— Et qu'est-ce que ça vous a appris ? Que j'étais le genre de personne trop stressée pour parler de ses problèmes aux autres ?

— Ce n'est pas moi qui le dis.

Je regrettais immédiatement ma dernière phrase. Sa naïveté m'amusait, et je m'étais pris au jeu bien trop vite. Je devais lui poser toutes ces questions, mais la taquiner ainsi ne devait pas faire partie de mes missions.

— Excusez-moi, je...

Son rire cristallin envahit la pièce, me prenant de court. Ses beaux yeux, cachés sous ses paupières mi-closes, exprimaient une émotion des plus sincères. Après des dizaines de minutes de discussion, elle semblait enfin elle-même.

— Vous n'êtes pas très sympa, me lança-t-elle en s'essuyant les quelques larmes qui perlaient au coin de ses yeux. C'est vraiment flippant de se retrouver ici avec un inconnu et lui déballer toute sa vie comme ça. Laissez-moi au moins vous faire croire que je ne stresse jamais et que tout roule parfaitement dans ma vie. Au moins pendant la première séance, s'il vous plaît.

Je ne pus retenir un sourire face à sa tirade des plus adorables. Je me devais de rester neutre en toutes circonstances, mais comment résister face à tant d'innocence ?

N'a jamais connu de période de stress et possède une confiance en elle inébranlable. C'est bien ça ? fis-je mine de griffonner dans mon carnet pour appuyer la plaisanterie.

— Vous avez tout compris, ricana-t-elle en dégageant, du bout des doigts, la mèche de cheveux qui lui cachait le visage.

— Je peux comprendre votre malaise, mais il faudra que vous puissiez vous livrer à moi, même si c'est difficile. Nous avons pour l'instant effleuré la surface et il nous faudra bientôt aborder le vif du sujet.

Le sourire qui illuminait son visage rosé s'estompa, laissant place à une bouche pincée. Elle était venue consulter un sexologue de son plein gré. Il était donc temps de parler de ce qu'elle voulait éviter.

— Vous avez raison, et je suis prête pour ça. Posez-moi toutes les questions que vous voudrez, j'y répondrai.

Les masques de la chairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant