Elle m'avait fait jouir, encore. Faible, je n'avais pas su résister au contact de sa chair, à la douceur de sa peau, à la chaleur de son sexe. J'avais perdu la raison, un peu plus à chaque manche, le jeu se terminant dans l'explosion de plusieurs semaines de frustration. Elle m'avait confié tous ses maux, dévoilé ses pires souffrances, et moi, je lui avais fait l'amour sans penser une seule seconde à ce qu'elle ressentirait si elle apprenait la vérité. J'étais un monstre.
Ma montre indiquant déjà plusieurs minutes de retard, je pris une profonde inspiration avant de me diriger vers la salle d'attente, terrifié. Comment allais-je pouvoir affronter son regard ?
Assise en face de mon bureau, elle m'attendait patiemment. Vêtue de noir, comme souvent, ses longs cheveux blonds négligemment attachés en un chignon haut. Malgré son maquillage plus prononcé que d'habitude, ces cernes violets marquaient son visage pâle. Elle semblait exténuée, elle aussi.
Je l'invitai à s'asseoir, lui demandant comment elle allait. Elle ne me répondit pas. Elle paraissait tendue, comme consciente de toute la supercherie. Avait-elle deviné ?
— La séance n'a pas encore commencé que je vous sens déjà ailleurs.
Elle frotta la paume de sa main contre son pantalon de toile. Malgré la distance, je pouvais distinguer ses ongles abîmés, presque rongés jusqu'au sang. Elle était au bord de la rupture.
— Dites-moi ce qui ne va pas, Louise.
Ses yeux s'humidifièrent dans l'instant alors qu'elle pinça ses lèvres avec force. Elle craquait, déjà.
— Je ne veux pas que ce soit à cause de ça. Ce n'est pas juste.
— De quoi parlez-vous ?
— Le problème pour lequel je viens vous voir... je ne veux pas qu'il soit lié à mon enfance. J'en ai déjà tellement souffert, je ne veux pas replonger là-dedans. S'il vous plaît...
L'envie de la prendre dans mes bras me déchira le cœur. Jamais elle ne s'était montrée aussi vulnérable devant moi. Au club, elle semblait insouciante, prête à explorer tout ce qui lui était possible, mais ici, elle était brisée, tentant d'échapper à une douleur qu'elle connaissait trop bien.
— Je sais combien tout cela est difficile, et croyez-moi, vous voir dans cet état me... touche profondément. Mais au-delà du sexe, même pour vous et votre vie, il faut en parler. Je pense pouvoir vous aider à porter ce fardeau, alors, s'il vous plaît, laissez-moi être là pour vous.
Elle attrapa plusieurs mouchoirs dans la boîte disposée à côté d'elle. Elle essuya le mascara coulé qui amplifiait la couleur sombre de son dessous œil. Même comme ça, je la trouvais absolument magnifique.
— Jamais personne ne m'a dit quelque chose d'aussi gentil. Je ne sais pas si je dois en être flattée ou bien gênée.
— Aucun de vos ex-petits amis n'a été là pour vous ? Personne ne vous a jamais offert une épaule pour pleurer ?
Elle se tue quelques instants avant de prendre une grande respiration à pleins poumons.
— Vous savez quel est mon plus grand défaut ?
Je secouai la tête, le souffle court, tant cette discussion comptait pour moi.
— Malgré mon âge, je crois encore que quelqu'un sera capable de lire dans mes pensées. J'ai toujours l'espoir qu'un homme me prenne un jour dans ses bras, qu'il me caresse les cheveux tout en blottissant ma tête contre son torse. L'écoute de son cœur qui cognerait contre sa poitrine suffirait à calmer mes angoisses. Et là, enfin apaisée, il m'embrasserait en me promettant qu'il serait là pour moi. Qu'il serait toujours à mes côtés, que j'aie besoin de silence pour pleurer ou que je veuille lui raconter ma vie pendant des heures. Ce serait à ce moment-là, et seulement là, que je saurai pour la première fois de ma vie que je compte pour quelqu'un. Que je pourrai partager mon fardeau et ne plus être seule.
Je ne trouvais pas de mots. Pour la première fois, j'avais l'impression de la voir telle qu'elle était, sans le mur qu'elle avait érigé entre elle et le monde.
— Mais ça n'arrivera jamais, ajouta-t-elle avec un sourire crispé. Personne n'est capable de lire dans mes pensées, et tant que je ne l'exprimerai pas, personne ne pourra le deviner. J'aimerais changer les choses, mais parler est tellement dur. J'ai tellement été trahie enfant que rouvrir mon cœur me semble impossible. Pourquoi prendre le risque de laisser entrer quelqu'un et de souffrir à nouveau ? Finalement, l'avantage avec les traumatismes, c'est qu'au moins, eux, ils seront avec moi toute ma vie.
— Avez-vous déjà été amoureuse ?
Tant pis pour ma posture de psy, je voulais savoir.
— Avez-vous déjà aimé sincèrement ? Désirer quelqu'un si intensément qu'il hante vos pensées jour et nuit ? Être tellement obsédée par un homme que la seule évocation de son nom vous provoque des frissons ? Se sentir en sécurité au point de laisser tout son être aux mains de quelqu'un autre ?
— Je...
— Avez-vous, ne serait-ce qu'une seule fois, lâché prise ?
Ses yeux rougis me foudroyèrent. Elle ne voulait pas entendre ce que j'avais à dire, mais il fallait que je continue.
— Votre passé a fait de vous une jeune femme constamment sur ses gardes, tellement habituée qu'on vous blesse qu'il était préférable que personne ne vous approche. Laissez votre esprit vous déconcentrer, pendant l'amour ou n'importe quand, est inconcevable pour vous. Vous avez développé un instinct de survie tel qu'être à la merci de quelqu'un ne serait-ce que quelques secondes relève de la torture.
Elle se leva d'un bond, saisissant son sac, comme prête à quitter mon bureau en claquant la porte. Elle ne devait pas fuir. Pas maintenant.
— Vous dites n'importe quoi. Des gens traumatisés, il y en a partout. Pourtant, eux, ils y arrivent. Ils arrivent à baiser, à ressentir leur corps et à avoir du plaisir. Arrêtez avec vos conneries, vous ne savez rien de moi. Mon corps est cassé, c'est tout.
— Empêcher votre corps de ressentir des sensations a été votre moyen de survie lorsque vous étiez enfant pour supporter la souffrance. Trop habituée à la douleur, tous vos capteurs se sont éteints, ne laissant qu'une coquille vide. Grâce à cela, vous avez survécu et construit la vie que vous avez aujourd'hui. Mais aujourd'hui, vous n'êtes plus cette petite fille, vous n'avez plus besoin de ce mécanisme de défense. Vous devez apprendre à montrer à votre esprit que vous n'êtes plus en danger, qu'on ne vous fera plus jamais de mal.
— Qu'est-ce que vous en savez ?
— Je le sais, je peux vous le jurer.
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Les masques de la chair
Roman d'amourQuand je suis entrée dans le club, les règles étaient claires, je ne devais en aucun cas enlever mon masque et montrer mon visage aux autres joueurs. Tout ce qui se passait entre ces murs devait rester secret. À 28 ans, j'avais tout pour être heureu...