Les masques de la chair

CHAPITRE 18 (Louise)

Je voulais un jeu complexe, suffisamment choquant pour repousser mes limites. Je voulais soumettre mon corps à toutes les épreuves possibles, ressentir tout ce que je pouvais supporter. Découvrir enfin ce qui bloquait mes nerfs, mettre un terme à ce problème une bonne fois pour toutes. Lui prouver qu'il se trompait, que ce qu'il se passait dans ma tête n'avait rien à voir avec mon passé. Tous ces pleurs, ces cris, ces angoisses, ces idées noires... tout cela était derrière moi.

Pingouin, de retour depuis la dernière fois, était collée à Loup. Sa main posée sur ses cuisses bronzées, il lui offrait les mêmes sourires mielleux dont j'avais été la cible. Depuis qu'il m'avait eue, je ne l'intéressais plus. Malgré mon attitude volontairement détachée, je ne pouvais nier que je me sentais trahie, utilisée. J'avais voulu coucher avec lui, l'ayant presque supplié de mettre fin à la tourmente qu'il créait en moi. J'avais mis mon ego de côté parce qu'il m'avait donné l'impression d'être spéciale. À son contact, je croyais être le fruit de son obsession, celle qui habitait ses pensées jour et nuit. Au cœur de ses désirs, il n'aurait jamais pu m'abandonner. Je m'en foutais d'être sa chose, tant que j'avais la certitude d'être unique à ses yeux. Je ne voulais pas qu'on m'abandonne, pas encore. Cette peur qui dirigeait ma vie me poussait parfois à me donner naïvement à des hommes que je croyais de confiance, et ça, le sexologue n'avait pas besoin de la savoir.

— Bonjour à tous. Le 90 ème jeu va pouvoir commencer.

Seule, encore une fois, je m'avançais vers l'estrade. Mes yeux, sensibles à cause des nuits entières passées à pleurer, fixaient l'arbitre avec attention. Je voulais un jeu qui me brise, qui me fasse oublier, ne serait-ce que quelques instants, cette douleur qui me rongeait de l'intérieur.

— Nous allons former un trio composé d'une femme et deux hommes. Dans une pièce plongée dans l'obscurité totale, les deux hommes, à tour de rôle, devront réaliser trois pratiques différentes sur la participante. La joueuse devra alors deviner, selon elle, lequel des deux est en train de réaliser l'action. L'équipe ayant le plus de bonnes réponses remportera la partie, et chaque joueur gagnera un point.

Un frisson parcourut ma peau. Je n'aurais pu rêver mieux pour calmer ma douleur. J'allais être utilisée par des hommes, comme toujours. Habituée à n'être qu'une chose qu'on exploite, je savais que ça ne me ferait pas souffrir.

— Je vais désigner les équipes. Chat, Bélier et Souris seront le premier trio. Panda, Chien et Pingouin formeront le deuxième trio. Loup, Ours et Renard composeront le troisième trio. Enfin, Coq, Cheval et Cygne constitueront le quatrième trio.

Les équipes distribuées, je sentis deux regards puissants se braquer dans ma direction. L'attitude de Loup m'exaspérait, et celle d'Ours m'horripilait. Ces deux hommes allaient finir par me rendre folle.

Tous les trois enfermés dans une chambre à l'ambiance familière, personne n'osait rompre le silence. Selon les consignes de l'arbitre, les lumières devaient s'éteindre d'ici quelques minutes à peine. Une fois la chambre plongée dans le noir, je devrais mettre des boules quies oreilles, m'obligeant à me concentrer sur les sensations, non sur leurs bruits ou gémissements. À tour de rôle, sans m'indiquer l'ordre de passage, ils allaient devoir me caresser, me lécher et me pénétrer. J'avais peur, non pas du jeu, mais de subir une autre humiliation de la part de l'un de mes partenaires.

— Je suis désolé, mais je ne vais pas jouer, lança Ours de sa voix grave, brisant enfin le silence pesant de la pièce.

Je roulai des yeux à l'écoute de sa phrase. Je le savais.

— Je suis si répugnante que même dans le noir tu n'as pas envie de me toucher ? Putain, je plains les femmes qui t'ont fréquenté dans la vraie vie.