Connard.
Je ne l'aime pas ce type. Je n'aime pas son air de latin lover, sa question biaisée, remplie de préjugés, et sa façon de lorgner Nicole juste après avoir plongé les yeux dans le décolleté de Natacha.
Je vais lui mettre un cinq francs, s'il continue.
— Bon bah, excuse-moi, je pensais que...
— Et toi ? Tu as du sang espagnol ? Tu fais de la corrida et tu bois du gaspacho ? le coupé-je.
Esteban reste coi, j'espère au moins qu'il est un peu vexé.
— Je ne risque pas de rentrer dans tes clichés. Je suis un amalgame de mille cultures.
Natacha pouffe dans son verre.
— Ma grand-mère était Espagnole, mais je...
— Ce grand mélange, c'est fabuleux ! s'exclame sa copine en se penchant en avant. Moi-même je viens d'Hambourg, je suis née en Allemagne.
— D'où le petit accent, remarqué-je, taquin.
— Oui, voilà, ça fait dix ans que je vis ici. Je suis venue pour mes études. J'ai flirté avec un Français et je ne suis jamais repartie. Bon, depuis, j'ai quitté le Français en question et j'en ai trouvé d'autres. J'ai travaillé un an comme prof d'allemand et utilisé l'héritage de mes parents suite à leur décès pour ouvrir Fil Harmonie.
Nicole tousse un peu dans son poing alors que je pressens derrière cette histoire d'héritage une situation assez douloureuse pour Natacha. Elle évoque son arrivée à Marseille avec un mélange de fierté et de tristesse.
— J'ai eu tellement de chance de tomber sur ma Nicole, se réjouit-elle. La première année, elle descendait de son troisième étage et venait me voir, je lui ai appris à crocheter, tricoter, elle trouvait ça fascinant. Ensuite, je l'ai embauchée parce que c'est la fille la plus adorable du monde et la meilleure amie dont tout le monde rêve.
Nouvelle toux contrôlée de la part de l'intéressée. Je ne vois pas son visage, mais je la devine un peu mal à l'aise devant cette salve de compliments.
— Vous devriez vous marier, commente Esteban dans un effort humoristique qui tombe aussitôt à l'eau.
— Elle préfère les grands bruns, que veux-tu ! soupire Nat. Moi aussi d'ailleurs. Enfin, là, aujourd'hui. Demain, ça pourrait changer.
Nicole remue encore sur son fauteuil. Mes doigts jouent avec la cuillère dans mon verre de mojito à peine arrivé.
Il suffit que je cesse de parler pour que mon esprit s'évade dans des fantasmes inavouables. Même le mouvement de ses jambes qui se croisent provoque un sursaut érotique sur une zone très sensible.
Sa jupe courte dévoile de jolies cuisses qu'elle cherche à dissimuler sous le tissu. Des efforts vains.
— Et... et toi, Nicole ? Tu...
Elle vrille légèrement vers moi. J'avale un bon tiers du mojito d'un coup. Je ne sais pas si c'est son sourire ou l'alcool, mais j'ai la tête qui tourne.
— Rien de très original. Je viens des Yvelines, j'ai grandi là-bas et je suis venue à Marseille pour suivre des études de journalisme. Ça a été un échec.
Sa bouille morose est adorable.
— Je ne regrette pas, j'avais besoin de sortir de ma zone de confort. Besoin de la mer et du soleil.
— Tu as trouvé ton bonheur ici ?
Elle est radieuse tout à coup et sa joie me plaît trop pour que je reste de marbre. Nous échangeons un sourire durant une poignée de secondes. Une complicité qui ne doit pas échapper à son amie.
— Oui.
— Il ne manque que l'amour à ma Nicole pour être la plus heureuse, ajoute Natacha, provoquant une rougeur soudaine chez son amie.
Esteban enchaîne sur les délices de la cité phocéenne. Dans son babillage, il est question de l'Olympique de Marseille et du Paris Saint Germain.
Je ne sais pas quelle progression logique l'a amené à ça et je m'en fous. J'ai deux yeux gris qui me dévisagent.
Nicole entrouvre sa doudoune, l'enlève en se tortillant. Ses longues mèches brunes jaillissent sur son dos, elle les attache rapidement avec un élastique. Je dois me forcer à chasser cette vision : son dos nu, mon poing autour de sa queue de cheval, un assaut frénétique où je tiendrais l'une de ses hanches et me délecterais de sa chute de reins. L'envie d'elle, de son parfum fruité, de nos chairs qui claquent l'une contre l'autre.
Je suis tellement à cran que ma bouche s'est asséchée.
— Donc madame Miller, c'est ta grand-mère ?
La voix d'Esteban douche mes ardeurs. Je me rappelle qu'il vit au 17, que je suis justement en recherche de renseignements sur les habitants de cet immeuble. Et avec sa belle gueule et son arrogance, il pourrait bien correspondre au Ratel. Une vague de colère me foudroie, j'ai comme une intuition qui devient une certitude, notamment quand il me toise de cette façon.
— Oui, tu la connais bien ?
— Je dois dire que ce n'est pas la dame la plus aimable du quartier.
Et lui n'est pas la chips la plus croustillante du paquet.
Son attaque réveille en moi une forme d'agressivité. La main de Nicole frôle la mienne sur l'accoudoir. Un contact par inadvertance. Le souffle coupé, je perds tous les mots acides que je voulais jeter à la tronche de cet enfoiré.
— Elle n'aime pas le bruit, intervient la douce voix de la jeune femme. Et souvent, il y a du bruit en provenance du cinquième étage.
— Il faut dire qu'Esteban est assez... expressif dans certaines circonstances, s'amuse Natacha.
L'intéressé se contente d'une mine contrite pour achever son verre.
— Tu m'accompagnes ? Je vais faire un tour aux toilettes, lui dit soudain Natacha. J'ai peur de me perdre avec toute cette foule.
Ses intentions sont limpides et d'autant plus claires qu'elle les appuie d'un clin d'œil coquin en direction de sa copine.
— On revient très vite, lui chuchote-t-elle. Ou pas.
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Des aiguilles sous le sapin
RomansaRien ne prédestinait Yanis, chômeur et père célibataire, à vendre des pelotes de laine. Il n'a pas eu le choix : c'était ça ou finir chez les flics. Ça lui apprendra à cambrioler sa grand-mère ! Il doit en plus suivre les ateliers tricot de Nicole...