L'apprentissage de l'enfant

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Les jours passaient lentement, mais Wilykit sentait que quelque chose avait changé depuis qu'elle avait dessiné son histoire pour les soldats. Ils la traitaient avec plus de douceur, mais aussi avec une sorte de respect craintif, comme s'ils avaient compris une partie du mystère qu'elle représentait. Pourtant, malgré tous leurs efforts pour communiquer, un mur invisible restait entre eux. Leurs mots restaient inintelligibles, des sons dénués de sens, comme des vagues qui se brisaient sur une plage lointaine.

Alors, un matin, quelque chose de nouveau arriva. Un soldat lui apporta plusieurs livres, des manuels épais avec des illustrations rudimentaires. Il les déposa délicatement sur le lit de Wilykit, puis lui montra du doigt une page avant de faire un geste clair. 

- Lis. Il lui fit un sourire, plein de bienveillance. Elle ne comprenait pas tout, mais elle savait ce qu'il voulait dire. Ils voulaient qu'elle apprenne leur langue.

Wilykit fronça les sourcils, sceptique. La langue des hommes qu'elle entendait chaque jour était complexe, gutturale, dure, pleine de sons qui lui échappaient totalement. Pourtant, elle savait que si elle voulait sortir de cet enfer d'isolement, elle devait essayer de comprendre. Elle prit le premier livre, l'ouvrit à la première page et fixa les symboles imprimés devant elle. Les lettres étaient étranges, les formes si différentes des glyphes de la Troisième Terre. Mais elle devait essayer.

Les jours suivants, Wilykit passa des heures penchée sur les livres, traçant des lignes de son doigt, essayant de lier les sons qu'elle entendait à ces symboles mystérieux. Au début, c'était frustrant. Rien ne faisait sens. Les mots semblaient glisser hors de son esprit avant qu'elle ne puisse les attraper. Mais elle persévéra. Chaque soir, après que les soldats eurent quitté la pièce, elle s'assit sous la faible lumière de la lampe et traça les lettres encore et encore, les répétant dans son esprit.

Les mots, malgré leurs sonorités brutales, commençaient lentement à se dévoiler à elle. De petites victoires, d'abord imperceptibles. Elle apprenait à reconnaître les noms des objets simples, porte, chaise, livre. Mais pour elle, tout cela restait une lutte constante. Sa langue natale était fluide, douce, pleine d'harmonie ; ici, tout était haché, brisé, comme le monde de guerre qui l'entourait.

Un jour, alors qu'elle était assise près de la fenêtre, le carnet qu'on lui avait donné posé sur ses genoux, Wilykit tenta quelque chose de différent. Elle avait entendu plusieurs fois le médecin prononcer un mot, un mot qu'il semblait utiliser chaque fois qu'il essayait d'attirer son attention. Elle comprit peu à peu que ce mot, c'était son nom – ou du moins, ce qu'il pensait être son nom. Mais Wilykit voulait leur montrer qui elle était vraiment.

Elle prit le crayon et, après une longue hésitation, commença à écrire lentement, lettre après lettre. Son nom. C'était un effort énorme, chaque lettre étant un défi à tracer correctement. Son esprit devait lier ce qu'elle savait de sa propre langue et des sons gutturaux de la leur. Elle se mordit la lèvre, concentrée, la main tremblante sous l'effort. Enfin, après plusieurs minutes de concentration, elle avait fini.

Elle fixa le résultat : W-I-L-Y-K-I-T.

Le prénom lui semblait étrange, presque étranger dans ces lettres humaines. Mais c'était son nom. C'était ce qui la définissait, ce qui la reliait encore à son monde perdu, à son frère, à ses compagnons, à tout ce qu'elle avait laissé derrière elle. Elle relut plusieurs fois le mot, s'assurant que chaque lettre était juste. Puis, avec une sorte de fierté timide, elle montra la page au médecin.

Pavel entra ce jour-là pour ses vérifications habituelles, portant son sourire bienveillant. Il s'arrêta net en voyant Wilykit qui lui tendait timidement le carnet. Il fronça légèrement les sourcils, mais il s'approcha et prit le carnet dans ses mains. Lorsqu'il posa ses yeux sur ce qu'elle avait écrit, il écarquilla les yeux, visiblement surpris.

- Wilykit. Murmura-t-il, tentant de prononcer le nom. Les syllabes étaient maladroites dans sa bouche, mais Wilykit hocha la tête avec un sourire faible. C'était la première fois depuis son arrivée ici qu'elle pouvait partager quelque chose de si personnel. Son nom. Son identité.

Pavel répéta son nom, cette fois avec plus d'assurance. Il semblait comprendre enfin. Wilykit. Ce n'était pas un mot aléatoire ou un surnom qu'ils lui avaient donné. C'était son prénom, celui qu'elle portait fièrement malgré tout ce qu'elle avait enduré. Le médecin sourit et la regarda, comme s'il voyait enfin un pont se créer entre leurs deux mondes.

- C'est ton nom, Wilykit ? Demanda-t-il doucement, en répétant le mot pour la troisième fois.

Wilykit hocha la tête avec vigueur. Oui, enfin, il comprenait. Le médecin, ému, tendit la main et tapota doucement son épaule. Il regarda de nouveau le carnet, fasciné par l'effort qu'elle avait dû fournir pour écrire cela dans une langue si différente de la sienne.

- Nous allons t'aider à en apprendre plus. Promit il.

Ce fut le début d'un nouveau chapitre dans la vie de Wilykit. Les soldats, bien qu'étrangers et souvent effrayants à cause de leur apparence austère, se montraient plus patients avec elle. Pavel lui apporta chaque jour de nouveaux livres, de nouveaux mots à apprendre. Le processus était lent et difficile, mais elle sentait qu'elle avançait. Chaque mot, chaque lettre qu'elle apprenait la rapprochait un peu plus de ce monde, et bien qu'elle ne comprenait toujours pas tout, elle n'abandonnait pas.

Les semaines passaient, et Wilykit s'efforçait de s'accrocher à cette langue qui n'était pas la sienne. Elle ne pouvait toujours pas parler avec eux, mais elle essayait. À chaque tentative de communication, ils semblaient comprendre un peu plus, et elle aussi.

Un soir, alors qu'elle se préparait à dormir, elle serra le carnet contre sa poitrine, son prénom gravé à l'intérieur comme une promesse. Elle ne savait toujours pas où elle se trouvait ni pourquoi elle avait été jetée dans ce cauchemar humain, mais une chose était certaine, elle n'était plus totalement seule. Ils commençaient à la comprendre.

Le Courage d'une EnfantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant