Le langage du dessin

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Les jours passèrent dans une étrange routine. Chaque matin, Wilykit se réveillait dans l'infirmerie spartiate, entourée par ce drapeau rouge au symbole jaune qui lui semblait toujours aussi étranger. Les médecins et les soldats venaient régulièrement vérifier son état, lui apportaient de la nourriture, et tentaient de lui parler, mais tout cela restait une énigme. Elle ne comprenait rien à leur langue. Leur tonalité était parfois douce, parfois sévère, mais les mots ne lui disaient rien. Elle se sentait piégée dans ce monde où personne ne la comprenait, et où elle ne pouvait comprendre personne.

Elle essayait de capter des fragments de leur conversation. Leurs mots étaient durs, avec des sons gutturaux qu'elle n'avait jamais entendus avant, ni même sur la Troisième Terre. Parfois, le grand homme en uniforme revenait la voir, lui posant des questions qu'elle ne pouvait pas déchiffrer. Il la regardait avec une sorte de frustration mélangée à de l'inquiétude. Puis il repartait, laissant Wilykit se sentir encore plus seule.

Sa santé s'améliorait, bien que lentement. Ses blessures étaient moins douloureuses, et elle commençait à reprendre des forces. On lui permettait même de sortir de son lit pour marcher un peu dans la pièce, mais toujours sous surveillance. Les soldats qui gardaient la porte la regardaient avec curiosité, parfois avec des sourires timides, mais aucun d'eux ne savait comment communiquer avec elle.

Le mystère restait entier, et malgré les jours qui défilaient, l'isolement de Wilykit ne faisait que grandir. Elle tentait parfois de leur dire quelques mots, mais à chaque fois, ils la regardaient avec perplexité. Aucun de ses tentatives n'aboutissait à une réelle communication.

Un soir, alors que le crépuscule tombait et que Wilykit s'installait sur le bord de son lit, elle entendit des pas familiers. C'était le médecin, celui qui prenait soin d'elle depuis son arrivée. Il semblait plus jeune que les autres, et ses gestes étaient toujours calmes et rassurants. Ce soir-là, il ne venait pas seul. Un autre homme l'accompagnait, un soldat plus âgé avec des cheveux gris coupés court. Il portait des lunettes rondes et un uniforme un peu plus décoré, avec des insignes qu'elle ne reconnaissait pas.

Ils s'assirent près d'elle, échangeant quelques mots dans leur langue étrangère. Puis, à sa grande surprise, le médecin lui tendit un carnet et un crayon. Wilykit regarda l'objet avec curiosité. Que voulaient ils qu'elle fasse ?

Le médecin fit un geste, mimant l'acte de dessiner avec sa main. Il pointa le carnet, puis la regarda dans les yeux, comme pour lui dire. 

- Raconte nous.

Wilykit comprit enfin. Ils voulaient qu'elle utilise le dessin pour leur raconter son histoire. Un sentiment de soulagement la traversa. Peut-être que, même s'ils ne comprenaient pas sa langue, ils pourraient au moins comprendre ce qu'elle avait vécu. Elle prit doucement le crayon, ses doigts encore tremblants d'épuisement, et commença à esquisser sur le papier.

Les premiers traits étaient hésitants. Elle n'avait pas dessiné depuis longtemps, et sa main manquait de force. Mais bientôt, des formes familières apparurent sur le papier. Elle dessina son monde d'origine, la Troisième Terre, avec ses paysages luxuriants et ses montagnes. Puis, elle dessina les Cosmocats, ses compagnons, ses frères d'armes, Starlion, Pantéro, Félibelle, Tigro bien d'autre et bien sûr et surtout, Wilykat, son frère jumeau. Elle les représenta tels qu'ils étaient, forts, courageux, et unis.

Les deux hommes la regardaient avec fascination. Le soldat aux cheveux gris fronçait les sourcils, visiblement intrigué. Le médecin, lui, restait silencieux, mais son expression était pleine de concentration. Ils semblaient comprendre qu'elle venait d'un endroit lointain, très lointain.

Wilykit continua. Elle dessina le vaisseau des Cosmocats, sa chute depuis l'espace, la destruction qui s'ensuivit. Puis elle traça les contours du camp de concentration où elle avait été capturée, les uniformes des SS, la froideur des barbelés. Elle dépeignit les scènes d'horreur qu'elle avait endurées, les interrogatoires brutaux, les coups, la douleur. Les soldats SS apparaissaient comme des ombres menaçantes, à moitié humaines, leurs visages figés dans une grimace cruelle.

Les deux hommes restèrent silencieux en voyant ces dessins. Leurs expressions s'assombrirent. Ils ne pouvaient peut-être pas comprendre tous les détails, mais ils saisissaient l'essentiel. Wilykit était une étrangère, une survivante qui avait traversé l'enfer.

Enfin, elle dessina son sauvetage. Les soldats qui l'avaient trouvée dans la cave, les explosions autour d'eux, et le moment où elle avait été portée hors du camp, vers la liberté. Elle termina par un dernier dessin, celui du drapeau rouge avec l'étoile jaune qu'elle avait vu dès son réveil. Elle le dessina comme elle l'avait perçu, un symbole énigmatique, qu'elle ne comprenait pas mais qui semblait lui avoir donné une seconde chance, courage et force.

Quand elle eut fini, Wilykit reposa doucement le crayon. Sa main tremblait à nouveau, mais cette fois, ce n'était pas de douleur, c'était l'épuisement de revivre son histoire sur le papier. Elle regarda les deux hommes, espérant qu'ils comprenaient. Le soldat aux cheveux gris prit le carnet dans ses mains, observant chaque page avec une attention particulière. Il murmurait quelques mots en parcourant les dessins, ses yeux trahissant l'inquiétude.

Le médecin, quant à lui, posa une main légère sur l'épaule de Wilykit, un geste de compassion qui, cette fois, n'avait pas besoin de mots. Il lui offrit un petit sourire, comme pour lui dire qu'ils feraient tout leur possible pour l'aider.

Le soldat se leva, tenant toujours le carnet. Il échangea quelques mots rapides avec le médecin avant de quitter la pièce, probablement pour montrer ces dessins à d'autres. Wilykit se laissa retomber contre l'oreiller, épuisée mais soulagée. Ils savaient maintenant ce qu'elle avait traversé, même si les détails resteraient un mystère pour eux.

Peut-être, juste peut-être, cela changerait il quelque chose.

Le Courage d'une EnfantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant