Chapitre 27 - Flashback 1982

248 10 2
                                    

Cela fait presque deux mois que Léa et Mathieu son ensemble, et je ne l'ai que rarement vue aussi épanouie. Elle semble irradiée d'un bonheur qu'elle avait depuis si longtemps laissé derrière elle. Son sourire est revenu, elle a repris le basket, elle sort, rit, s'amuse comme elle ne le faisait plus depuis longtemps. C'est comme si je retrouvais ma petite fille, celle qui riait tout le temps et me confiait qu'elle rêvait de rencontrer son prince charmant. Elle a grandi, et je vois enfin les signes qu'elle est prête à tourner la page sur le deuil de son père. Un immense soulagement m'envahit de la voir avancer, même si l'homme qu'elle a choisi vient d'une famille opposée à la nôtre. Ce qui importe, c'est qu'il la rend heureuse. Alors, je suis prête à laisser derrière moi ces vieilles querelles familiales. Je ne veux pas qu'elle revive les mêmes tensions que celles que j'ai connues avec Maléna. La haine et la rancœur ne font que ravager tout sur leur passage.

Maléna... Elle était mon amie, ma meilleure amie, celle dont j'étais inséparable. C'était au lycée que nos chemins s'étaient croisés pour la première fois. Elle était capitaine de l'équipe de débat, moi son indispensable bras droit. Toutes deux, nous rêvions de devenir avocates d'affaires et d'y consacrer nos vies, sans distraction, surtout pas celle des garçons. Nous avions fait le serment de ne jamais nous laisser distraire avant la fin de nos études. Longtemps, nous étions ces filles modèles, excellentes élèves, sérieuses, déterminées. Les garçons ? Inintéressants, à nos yeux. Ce pacte, nous l'avons tenu... du moins, jusqu'à notre entrée à l'université.

Nous étions convenues que rien ne viendrait perturber notre parcours scolaire, pas même les sentiments. Et pendant les deux premières années, tout était en ordre. Nous étions ensemble, dans les mêmes cours, motivée pour réussir. Mais tout a basculé cet été-là. L'été 1982.

Ce fut un été particulier. Pour la première fois, nous avons été séparées. Je m'envolais pour l'Europe, à Milan, où m'attendait un stage dans un prestigieux cabinet d'avocats. Ce fut aussi l'été où elle fit la rencontre d'un mystérieux jeune homme. C'était un après-midi pluvieux, elle revenait de la bibliothèque. Elle m'avait raconté comment, en sortant précipitamment pour éviter la pluie, une moto l'avait éclaboussée de la tête aux pieds. Plutôt que de s'emporter, comme à son habitude, elle avait accueilli cet incident avec la douceur et la bonté qui la définissaient. Maléna était croyante, elle me disait souvent que Dieu existait, qu'elle était son enfant, et qu'il bénirait sa gentillesse. Elle croyait fermement que ceux qui suivent ses préceptes sont protégés par sa grâce. Moi, je n'étais pas vraiment croyante. Disons que je savais qu'un Dieu existait, mais je n'avais jamais cherché à en savoir plus.

Ce jour-là, Maléna, après avoir été éclaboussée, s'était mise à secouer sa jupe plissée, en silence, en essayant d'essuyer ses affaires, quand il est arrivé pour s'excuser. Lui, ce garçon, il s'appelait Éric Lewis, membre de l'équipe de basket de l'université. Sa réputation le précédait : on le connaissait pour être une brute sans cœur. Pourtant, ce jour-là, après l'avoir éclaboussée par mégarde avec sa moto, il est revenu sur ses pas pour lui présenter des excuses. Et, contre toute attente, il s'est montré attentionné, délicat, doux. Il s'est excusé sincèrement, puis l'a raccompagnée chez elle. Ce fut le début, et de là, ils ne se sont plus jamais quittés.

Tout au long de cet été, Éric l'accompagnait à la bibliothèque. Ils passaient chaque instant ensemble, et il l'a même présenté à ses amis, lui apprenant à tirer au panier sur le terrain de basket. Au début des vacances, Maléna et moi nous parlions presque tous les jours, mais peu à peu, ses appels devinrent plus rares, jusqu'à disparaître totalement. Je me disais qu'elle devait être absorbée par ses révisions, et qu'elle n'avait pas le temps de me contacter. À cette époque, nous n'avions pas encore de téléphones portables, alors son silence ne m'inquiétait pas tant que ça.

NB LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant